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Les dictateurs finissent mal, en général

Est-ce bien raisonnable?

La joie des Syriennes et des Syriens exilés en Suisse apprenant la chute de celui qui leur mène la vie si dure depuis des décennies est terriblement émouvante et donne la chair de poule. Nous ne pouvons qu’être touchés par leur immense espoir, leur dignité et leur volonté de rentrer bientôt dans leur pays enfin «libéré» du régime sanguinaire de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis vingt-quatre ans, qui s’est écroulé dimanche comme un château de cartes.

Avec un sentiment de déjà vu, tant les scènes qui se déroulent actuellement en Syrie rappellent celles vécues ailleurs. Chaque fois, comme à Damas aujourd’hui, la population découvre avec sidération l’incroyable faste dans lequel vivait le dictateur, sa famille, ses proches. Rappelons-nous le luxe inouï des palais de Mouammar Kadhafi, avec leurs piscines intérieures, leurs meubles dorés; ou les centaines de pièces richement décorées de celui de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie, où il entreposait d’innombrables voitures de luxe; ou celui de Saddam Hussein, investi par des soldats américains prenant la pose dans ce palace des 1001 nuits; ou encore ceux de Nicolae Ceausescu en Roumanie, de l’empereur Bokassa en Centrafrique… La liste est longue, tout comme celle des dictateurs toujours en place, retranchés dans leurs palais bunkers, qui suivent de près le sort réservé à leur pair, tout en espérant échapper à un destin identique.

L’architecture des palais, leur décoration intérieure se ressemblent beaucoup. Comme si, quelle que soit la géographie, la tradition, la religion auxquelles ils appartiennent, les goûts des tyrans finissaient toujours par se ressembler: constructions en marbre monumentales, dorures omniprésentes, piscines intérieures et extérieures, collections de voitures, animaux exotiques. Devant lesquels les gens prennent la pose, avant de s’attaquer aux symboles les plus criants du régime déchu.

Aujourd’hui, en Syrie, ce sont les statues monumentales de Bachar al-Assad et celles de son père qui sont mises à terre. Du coup, nous reviennent en mémoire celles de Saddam Hussein chancelant dans une grande clameur; les fresques à l’effigie de Kadhafi détruites à coup de pioche. Sous tous les cieux, et quelle que soient les époques, les monuments colossaux à la gloire des dictateurs sont les premiers signes auxquels les foules en colère s’attaquent pour les détruire; en même temps que s’organisent les pillages des dorures, meubles, vaisselle, baignoires… Comme après le passage des criquets pèlerins, il ne reste souvent plus grand-chose dans les palais après le passage des miséreux qui prennent leur revanche sur l’Histoire, le temps qu’un nouveau monarque s’installe.

Alors qu’une nouvelle page de l’histoire de ce pays martyre qu’est la Syrie est en train de s’écrire, au moment où la population laisse éclater sa joie après un demi-siècle de souffrances sous la férule d’une seule famille, la rapidité des réactions venant des pays étrangers font craindre le pire pour la suite. Les Etats-Unis, Israël, mais aussi la Turquie, ne laissant aucun répit à la Syrie, ont aussitôt effectué des bombardements en divers lieux du pays, chacun selon son propre agenda. Dans toute l’Europe, Suisse comprise, des messages ont exprimé la volonté de voir les exilé·es syrien·nes retourner dans les plus brefs délais dans leur pays, sans attendre de voir comment la situation évolue. Sur les réseaux sociaux, des messages annoncent le retour de l’Etat islamique et l’imminence de nouveaux attentats «terroristes» en Europe. La Syrie n’a même pas le temps de savourer la fin d’un régime sanguinaire que le pays est déjà rattrapé par les intérêts des uns et des autres. Du coup, les immenses espoirs de la population syrienne, exprimés partout dans le monde, prennent déjà les couleurs des nouvelles tragédies à venir.

Catherine Morand est journaliste.

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