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La tragédie de Valence possible au Portugal?

A l’origine des inondations qui ont endeuillé l’Espagne, les épisodes de goutte froide, banals sur le pourtour méditerranéen, risquent d’augmenter en fréquence et en intensité à l’avenir. Si le Portugal semble moins menacé par ce type de phénomène, la donne pourrait changer avec le dérèglement climatique global, dans un pays aussi mal armé que sa voisine ibérique pour y faire face.
Climat

Dans la nuit du 30 octobre, une «goutte froide»1>Une «goutte froide» est associée à un phénomène météorologique provoqué par le réchauffement des eaux – ici méditerranéennes – qui s’évaporent rapidement. Lorsque cette humidité rencontre les couches d’air froid venant du Pôle Nord, elle se condense et retombe en pluies cataclysmiques. A Valence, il est tombé l’équivalent d’un an de pluie en deux heures. Le sol bétonné par les denses installations touristiques de la Costa Blanca a renforcé les dégâts. a déferlé sur Valence, au sud-est de l’Espagne, faisant au moins 220 morts et une nonantaine de disparus. La tourmente s’est produite vers 18 heures, l’heure du rush de retour du travail; la plupart des victimes ont ainsi été piégées à l’intérieur de leur voiture par la montée des eaux des rivières alentours alimentées par des pluies diluviennes. La tempête s’est ensuite lentement déplacée vers l’ouest. Affaiblie, elle a atteint le Portugal le 1er novembre, provoquant là encore des pluies intenses. L’alerte orange a été déclenchée, mais heureusement aucun dégât significatif n’a été constaté.

Ce type d’inondations cataclysmiques pourrait-il se produire au Portugal? Oui, si l’on sait qu’au printemps et à l’automne, des gouttes froides se forment régulièrement sur toute la péninsule ibérique. Mais il ne semble pas qu’une telle tragédie puisse affecter le Portugal à court terme, car les eaux de l’Atlantique sont beaucoup plus froides que celles de la Méditerranée. Avec le réchauffement climatique global, cependant, cette donnée-là pourrait changer.

Pedro Miranda, professeur de météorologie de l’université de Lisbonne estime que le réchauffement global rend désormais ce danger plus présent. «Les zones les plus vulnérables sont situées au sud.» En Algarve notamment, la région la plus méridionale du pays, qui borde une mer relativement plus chaude que le reste de l’Atlantique du fait de l’écoulement de la Méditerranée dans l’océan via le détroit de Gibraltar. C’est aussi là que se concentre l’activité touristique du pays. La côte de l’Algarve est ainsi la plus densément construite, donc la plus bétonnée. Le même cocktail explosif qu’à Valence.

Tout autant que l’Espagne, le Portugal est mal préparé à faire face à ce type d’inondations torrentielles. C’est en effet sur les feux de forêt d’été, ravageurs, que les efforts de la protection civile portugaise ont portés. Notamment suite au dramatique incendie de Pedrógão, en juin 2017, qui a fait 66 morts et 254 blessés au centre du pays. Là encore, la plupart des victimes avaient été piégées par les flammes sur une route, à l’intérieur de leurs voitures.

Depuis, les pompiers ont multiplié les mesures pour prévenir ces incendies de forêt meurtriers en multipliant notamment les points de ravitaillement en eau pour les camions-pompes dans les endroits les plus stratégiques. Mesures efficaces, semble-t-il, puisque depuis le drame de Pedrógão, même si les feux d’été continuent à ravager les forêts de pins et d’eucalyptus, le nombre de victimes humaines a été drastiquement réduit. Pour ce qui est des inondations, par contre, on est loin du compte.

Duarte Caldeira, chercheur spécialisé dans la protection civile et ancien président de la Ligue portugaise des pompiers volontaires, explique que le pays fait face au défi d’éduquer sa population à une culture du risque qui n’existe pas actuellement. «En présence de crues et d’inondations graves, qui sont souvent liées à une mauvaise gestion du territoire, les plans théoriques de prévention existent, mais encore faut-il pouvoir les mettre en pratique! Il faut préparer la population à faire face à ces événements.»

Pour Jorge Mendes, commandant du corps de pompiers volontaires de Cabo Ruivo, à Lisbonne, les gens doivent prendre conscience de ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. «Comme éviter de sortir dans la rue en cas de crue et surtout écouter les alertes lancées par SMS.» Malheureusement, une partie importante de la population, notamment parmi les tranches les plus pauvres, ne possède pas de téléphone mobile susceptible de relayer ces alertes.

Pour faire face aux risques d’événements climatiques graves provoqués par l’augmentation de la température du globe, le Portugal, comme l’Espagne, a donc encore du chemin à parcourir. On peut seulement espérer que la tragédie de Valence – qui s’est produite à plus de 800 kilomètres des frontières portugaises – serve de signal d’alerte et que la politique de prévention des inondations soit accélérée et renforcée sur le même modèle que celles concernant les ­incendies.

Notes[+]

Jean-Jacques Fontaine est un journaliste romand installé au Portugal.

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