Le «drame de la paternité»…
Le Roman de Jim (2024), film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu d’après le roman de Pierric Bailly (2021), se penche sur les souffrances d’un père d’adoption (c’est sa voix qui commente les péripéties de l’histoire) peu à peu coupé de son fils par la volonté de la mère biologique. Karim Leklou, avec ses rondeurs confortables sinon sexy, incarne Aymeric, un gentil trentenaire qui vient d’être largué par la copine avec qui il sortait depuis le lycée. Il retrouve lors d’un concert Florence (Laetitia Dosch), une femme qui comme lui enchaîne les petits boulots… Elle est enceinte d’un homme marié et père de famille qui n’a pas l’intention d’assumer l’enfant. Aymeric se retrouve dans le lit de Florence, porté aux nues pour sa gentillesse et sa tendresse pour son ventre arrondi qui fait fuir la gent masculine. Ils s’installent ensemble; Florence accouche, Aymeric s’occupe du bébé et devient de facto le père de Jim.
On retrouve quelques années plus tard Jim et Aymeric, arpentant été comme hiver les montagnes du Jura dans une complicité grandissante. Mais Christophe (Bertrand Belin), le père biologique de l’enfant, opportunément victime d’une tragédie (sa femme et ses deux filles sont mortes dans un accident de voiture), revient et Florence entreprend de le soigner de sa dépression en lui faisant une place dans leur vie familiale. Bientôt, Aymeric se trouve évincé, rétrogradé au rang de parrain, et Florence décide de prendre un nouveau départ au Canada avec son fils et Christophe.
Les nouvelles s’espacent. Aymeric reçoit un jour un message de Florence l’informant qu’elle a décidé de couper les liens avec lui «pour le bien de tous». Aymeric noie son chagrin dans les petits boulots. Quelques années plus tard Florence, de passage en France, lui avoue le mensonge inventé pour casser les liens avec Jim. Elle a fait croire à son fils qu’Aymeric l’avait abandonné pour vivre avec une autre femme et avoir un enfant. Accablement silencieux du pauvre Aymeric…
Nouvelle ellipse temporelle: Aymeric rencontre Olivia (Sara Giraudeau) qui, comme lui, ne veut pas d’enfant. Ils se retrouvent dans la montagne jurassienne où il retape une maison qu’elle rejoint le week-end. Alors que Jim a disparu de la vie d’Aymeric depuis plus de dix ans, celui-là reparaît, apparemment désireux de renouer. Après une veine tentative pour s’expliquer, Aymeric parvient à révéler la vérité à Jim et les deux hommes se réconcilient. Happy end…
Le Roman de Jim traite en fait un thème récurrent dans le cinéma français contemporain, celui du «drame de la paternité», comme une dénégation de la réalité sociale marquée par la persistance des inégalités en matière de parentalité – on sait qu’en réalité la majorité des drames de la parentalité, c’est la disparition des pères en cas de séparation. Le mauvais objet du Roman de Jim, c’est ici la mère, incarnée par Laetitia Dosch. La rousseur exubérante et l’énergie communicative de l’actrice sont instrumentalisées pour masquer (très mal) le cynisme d’une garce de la plus belle eau qui utilise le dévouement paternel d’Aymeric avant de le jeter sans remords pour reformer une famille «normale» avec le père biologique de son fils. Non contente de séparer son fils de son père d’adoption, elle invente une sale histoire pour rendre leur rupture irrémédiable.
Le scénario ne se donne même pas la peine de justifier la façon dont elle évince de sa maison et de sa vie l’homme qui a élevé son fils. On doit se contenter de la voix d’Aymeric qui constate sobrement: «On avait cessé de s’aimer». Le choix de Florence de repousser le père d’adoption au profit du géniteur – qui pourtant n’avait pas manifesté la moindre velléité paternelle jusqu’à la perte de sa propre famille – a des connotations proprement réactionnaires. Au-delà de cette diabolisation de la figure maternelle, le Roman de Jim ressemble à un film à thèse, tant les personnages sont schématiques: Aymeric est exclusivement défini par une gentillesse qui confine à la passivité – si sa relation avec Jim est si importante, on aimerait qu’il se batte pour son fils adoptif, d’autant s’il s’agit d’une affection réciproque.
Quant au père biologique, c’est un zombie, littéralement, au début, quand il passe ses journées sur le canapé à regarder la télévision Et quand il commence à intervenir dans la vie de Jim, c’est par des remarques arrogantes et déplacées. Il disparaît d’ailleurs très vite, comme s’il n’existait que pour priver Aymeric de son lien avec Jim. Sara Giraudeau n’est pas mieux servie: elle apparaît dans la dernière partie du film et n’a pas d’autre fonction que d’aider à renouer le lien entre Aymeric et son fils. Il manque au film un minimum de vraisemblance psychologique pour nous faire partager les souffrances du protagoniste.
* Historienne du cinéma, www.genre-ecran.net