Procès de Mazan: son corps en usufruit
«Quand j’ai lu l’histoire, j’ai eu du dégoût, même du dégoût d’être un homme. (…) J’espère qu’il y aura de vraies condamnations, de vrais exemples.» Il a 26 ans et il manifestait samedi à Clermont-Ferrand en soutien à Gisèle Pelicot, droguée par son mari puis livrée en pâture, durant des années, à des dizaines de violeurs recrutés sur internet. Quelque 10’000 personnes ont défilé samedi en France à l’occasion du procès hors normes qui s’est ouvert début septembre devant le tribunal d’Avignon. Pour que «la honte change de camp».
Pour Gisèle Pelicot, la honte a déjà changé de camp: c’est tête haute et à visage découvert, refusant le huis clos, qu’elle est apparue au procès de son ex-mari – procès suspendu lundi matin en raison de l’absence du principal accusé. La dignité de cette femme de 71 ans retourne le tabou des violences sexuelles qui conduit trop souvent les victimes à endosser la salissure.
Le caractère monstrueux des agissements de Dominique Pelicot sera peut-être qualifié psychiatriquement. Au vu des premières déclarations, l’implication des 51 accusés comparaissant devant la Cour correctionnelle du Vaucluse ne le sera pas. Si certains ont des antécédents de violence envers les femmes, bien d’autres apparaissent comme de bons pères de famille ou des voisins sans histoire. Ils exercent des métiers «normaux» (pompier, gardien de prison, conseiller municipal), ont des vies «normales». Mais la «normalité» de nos sociétés reste gangrenée par une misogynie profonde, (parfois) inconsciente et brutale. Il y a ceux que la passivité de la victime excite. Il y a ceux qui considèrent ne pas avoir commis de viol, puisque «c’est son mari qui propose». Femme marchandise, femme propriété privée – un fantasme systémique.
Ce procès, qui bouleverse très largement, raconte crûment comment le droit d’appropriation et de domination du corps des femmes cimente la culture du viol et reste profondément ancré dans notre civilisation – si ce mot a encore un sens. Outre des condamnations, les militantes féministes espèrent franchir une nouvelle étape dans la reconnaissance de la réalité du viol: non, les violeurs ne sont pas des monstres ou des marginaux, ils sont comme «tout le monde». L’actrice Adèle Haenel l’exprimait en 2019 sur le plateau de Mediapart: «Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères, c’est ça qu’on doit regarder. On n’est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer. Mais il faut passer par un moment où ils se regardent, où on se regarde.»