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L’éducation à l’écologie politique

L'actualité au prisme de la philosophie

L’éducation à l’écologie politique suppose d’étudier la manière dont les auteurs et autrices combinent de manière originale un ensemble de réponses à des problèmes. On peut partir pour ce faire de la question technique.

Le technocapitalime: au cœur du technosolutionnisme

Les militants et militantes écologiques considèrent parfois que les élites économiques et politiques ne sont pas promptes à prendre les mesures écologiques nécessaires car elles seraient climato-négationnistes.

En fait, toute une partie de l’élite économique, politique et intellectuelle est plutôt acquise au technosolutionnisme et au capitalisme vert. C’est le cas par exemple de l’ancien ministre français de l’Education nationale, le philosophe Luc Ferry. Dans son ouvrage Les sept écologies (2021), il défend l’approche «écomoderniste». Ce courant s’est fait connaître en particulier par un manifeste en 2015. Les écomodernistes considèrent que les innovations technologiques, provenant des industries capitalistes, sont les seules à même de produire des solutions face aux problèmes climatiques et, de manière générale, environnementaux.

La technique démocratique

L’expression «technique démocratique» a été initiée par Lewis Mumford, que l’historien américain oppose à la «mégamachine». Pour l’essayiste allemand Fabian Scheidler, la notion de mégamachine désigne plus précisément une formation socio-historique qui apparaît à l’époque moderne et qui combine le capitalisme, l’Etat moderne et la technique moderne, dont l’expression est la machine.

Le capitalisme et l’Etat moderne sont marqués par le développement d’une technique caractérisée par la démesure et l’absence de contrôle par l’être humain. Seule la mégamachine est à même d’engendrer l’industrie nucléaire, les infrastructures autoroutières ou aéroportuaires… L’Etat est le promoteur de «Grands projets inutiles» (GPI).

De ce fait, le projet écologique devrait rompre avec l’organisation autoritaire politique de l’Etat, ainsi qu’avec l’économie capitaliste. Il s’agit plutôt de promouvoir un «écocommunalisme» basé sur des communes autonomes. La rupture économique avec le capitalisme peut passer, selon les auteurs ou autrices, soit par une économie associative (tiers-secteur), soit par une économie communiste.

L’articulation de divers éléments

Il est donc possible de constater que les projets écologiques articulent souvent au moins trois dimensions: 1) la dimension technique: technosolutionnisme ou technocritique? 2) la dimension économique: capitaliste, associative ou communiste? 3) la dimension politique: le recours à l’Etat – dans une version républicaine jacobine ou au contraire totalitaire – ou une conception confédéraliste s’appuyant sur des communes autonomes?

Il serait trop simple d’imaginer que ces différents éléments se combinent de manière homogène dans les différents projets écologiques en permettant de dégager deux types idéaux simples qui seraient, d’un côté, un écocapitalisme autoritaire technophile et, de l’autre, un écocommunalisme démocratique et anticapitaliste.

L’écologie politique traverse tout le spectre politique allant de l’extrême droite à l’extrême gauche. Si on prend les courants écomarxistes, on trouve aussi bien des auteurs technophiles que des auteurs critiques de la technique. Parmi les tenants d’une croissance des forces productives, on peut citer les auteurs du Manifeste accélérationniste (2014). A l’inverse, un philosophe marxiste comme Paul Guillibert défend un «communisme du vivant» qu’il considère synonyme de décroissance, et donc d’antiproductivisme.

Murray Bookchin qui est un anarchiste, donc critique de l’Etat, et qui prône un écocommunalisme, a défendu l’idée d’une «technologie libératrice» (1965) où les machines libéreront l’être humain en grande partie du travail et de sa pénibilité.

Si les communistes anarchistes s’opposent au recours à l’Etat, d’autres communistes marxistes peuvent être favorables à la planification étatique, c’est le cas par exemple de Ramzig Keucheyan dans Comment bifurquer (2024), coécrit avec Cédric Durand.

Il n’y a donc pas de lien simple entre les différents problèmes: «Quelle technique dans une société écologique? Quelle économie? Quelle organisation politique?». Il peut y avoir des communistes écologistes technophiles ou critiques de la technique et des communistes écologiques critiques de l’Etat ou au contraire prônant la planification écologique. Il existe même, par exemple sur la question politique, des auteurs qui, comme Michael Löwy, proposent d’articuler planification et démocratie des conseils.

De ce fait, une éducation à l’écologie politique est mieux avisée de partir de problèmes, de l’étude des réponses à ces problèmes et des arguments qui sont avancés. La reconstitution des pensées des auteurs et autrices demande d’analyser la manière dont ils et elles articulent de manière subtile différents éléments de base qui peuvent être d’ordre politique, économique, technique, relevant des rapports sociaux ou encore de la place de la spiritualité par exemple.

* Sociologue et philosophe, cofondatrice de l’IRESMO, Paris. Parution récente: Le féminisme libertaire, éd. Le Cavalier Bleu, 2024, www.lecavalierbleu.com/livre/le-feminisme-libertaire/

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jeudi 14 novembre 2024

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