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Palestinien·nes en Suisse: apatrides ou réfugié·es?

Palestine

Pour des raisons historiques, les réfugié·es palestinien·nes ont été exclu·es de la Convention sur les réfugiés (CR) et de celle sur l’apatridie1>Le droit international définit l’apatride comme «une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation», au moment de leur rédaction dans les années 1950. A l’époque, l’enjeu était de ne pas enterrer le droit au retour des Palestinien·nes et la revendication d’une nationalité palestinienne. En contrepartie, un organisme spécifique a été créé – l’UNRWA – avec vocation d’assurer leur protection dans une situation pensée comme temporaire. La CR précise toutefois que si l’assistance de l’UNRWA venait à cesser, ses bénéficiaires devraient directement être reconnu·es comme réfugié·es, ce que la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé dans un arrêt de 2011.

Jusqu’à présent, le Tribunal administratif fédéral (TAF) n’a pas appliqué cette directive d’octroi automatique du statut de réfugié. Malgré les récents événements, il semble continuer à procéder à un examen des motifs individuels comme pour toute autre personne qui demande l’asile. Lorsqu’Emad**, Palestinien de Syrie, s’est vu refuser la qualité de réfugié, il a alors déposé une demande d’apatridie2>Voir cas n°463 sur odae-romand.ch. Sa requête a été acceptée par le Tribunal fédéral (TF) : la plus haute instance juridique de Suisse a en effet décrété qu’en cas de perte de la protection de l’UNRWA, les personnes doivent se voir reconnaître le statut d’apatride.

La protection de l’UNRWA est considérée comme ayant cessé lorsqu’une personne quitte le pays où elle en bénéficiait et ne peut y retourner pour des raisons indépendantes de sa volonté. Il faut en outre que la personne n’ait pas de lien avec un autre pays où l’agence opère. C’est le cas de Lina**, étudiante originaire de Gaza venue en Suisse pour suivre une formation à l’EPFL. Empêchée de retourner chez elle en raison de l’offensive israélienne, elle dépose une demande de reconnaissance d’apatridie qui est acceptée en l’espace de deux semaines.

Mais la protection prend également fin si l’UNRWA n’a plus les capacités matérielles d’assumer sa mission, lorsqu’elle ne peut plus assurer «des conditions de vie dignes ou des conditions minimales de sécurité»3>Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne, «C-563/22», 13.06.2024.. C’est pour cela que Tareq**, Palestinien du Liban, a vu la décision de son renvoi être suspendue par le TAF le 15 mai dernier. Le tribunal a estimé qu’il était nécessaire d’évaluer si l’UNRWA au Liban était toujours opérationnelle, compte tenu de la suspension de son financement par plusieurs Etats. Il a rappelé, dans ce même arrêt, que l’UNRWA assume une fonction similaire à celle d’un gouvernement et qu’en l’absence de son soutien financier, 93% de ses bénéficiaires passeraient sous le seuil de pauvreté.

L’affaire est en cours, mais si le SEM devait constater que l’UNRWA ne peut plus assurer sa protection aux réfugié·es palestinien·nes au Liban, cela devrait ouvrir la voie à une reconnaissance d’apatridie pour Tareq**.

L‘enjeu n’est pas moindre puisque ce statut s’accompagne automatiquement d’un permis de séjour en Suisse, d’un document de voyage et, pour les enfants, d’un droit à la naturalisation facilitée. Si cette brèche juridique est à saluer, on peut toutefois regretter que la Suisse reconnaisse le statut d’apatride plutôt que celui de réfugié, comme le préconisent pourtant les instances internationales. Car cela revient à ne pas reconnaître l’aspect politique de la persécution. Comme le souligne l’avocate française Me Mélanie Le Verger4>Citée par LEGOFF L., “On va enfin vivre normalement : à Rennes, la famille palestinienne obtient le statut d’apatride”, Ouest France, avril 2024., alors que le statut de réfugié signifierait que «les Palestinien·nes dans la Bande de Gaza risquent des persécutions parce qu’ils·elles sont Palestinien·nes», l’apatridie est un moyen «de ne pointer du doigt personne».

Reste que ces récentes décisions montrent que le pouvoir judiciaire suisse – contrairement au Conseil fédéral qui n’a toujours pas rétabli l’entier du financement helvétique à l’UNRWA – reconnaît le rôle central de cette institution pour les Palestinien·nes dans toute le Moyen-Orient, ainsi que les conséquences dramatiques des coupes budgétaires qui lui ont été imposées.

Notes[+]

*Les autrices sont membres de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE)
**Prénoms d’emprunt.

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