Suisse

Du béton sans ciment

Pour faire face au bouleversement climatique, la start-up zurichoise Oxara développe des matériaux de construction durables. Entretien avec l’un de ses cofondateurs, Thibault Demoulin.
Du béton sans ciment
La start-up zurichoise a été cofondée en 2019 par Gnanli Landrou et Thibault Demoulin. OLIVER OETTLI
Durabilité

Depuis cinq ans, mue par sa volonté écologique, une petite entreprise développe du béton qui ne nécessite pas de ciment. Car, ce dernier, mélange de calcaire et d’argile chauffé à plus de 1400°C, émet énormément de dioxyde de carbone (CO2).

S’en passer, c’est donc diminuer drastiquement l’empreinte environnementale des matériaux de construction. Et ce jusqu’à 90% en comparaison avec du béton traditionnel.

Avec de la terre et des adjuvants issus de ses laboratoires, Oxara propose ainsi un béton de terre coulée pour des applications de structures non porteuses. Mais aussi, depuis peu, pour des structures porteuses, en utilisant des matériaux de construction recyclés.

Créée en 2019, la start-up a été cofondée par Gnanli Landrou et Thibault Demoulin. Son nom, Oxara, est dérivé de la langue nationale du nord du Togo, qui signifie «rassembler» et «communauté», deux valeurs essentielles pour les deux ingénieurs.

Offrir un toit à chaque être humain tout en protégeant la Terre est le projet à l’origine de leurs recherches de matériaux de construction plus respectueux de l’environnement.

Quand la thérapie devient politique

Depuis cinq ans, ils ont réussi à développer des partenariats avec plusieurs entreprises du bâtiment dont notamment Marti Construction à Meyrin et Terrabloc à Genève. Entretien avec Thibault Demoulin, qui a étudié dans sa ville natale, à Rennes, avant de poursuivre un doctorat à Zurich.

Quelle est la genèse de votre start-up?

Thibault Demoulin: L’idée est partie d’une thèse de doctorat à l’EPFZ de Gnanli Landrou avec le professeur de la chaire de construction durable, Guillaume Habert. Leur recherche portait sur la manière de travailler avec de la terre et sur la modification de la propriété des argiles pour faciliter le mélange.

Gnanli, originaire du Togo, refusait l’utilisation du ciment, dont le prix est rédhibitoire dans son pays et où, traditionnellement, les constructions sont en terre. Nous partagions le même laboratoire et sommes devenus amis. A la fin de nos doctorats respectifs, grâce à des fonds obtenus, nous avons allié nos connaissances.

Peut-on réellement se passer de ciment aujourd’hui?

Toute l’industrie a été mise en place pour le béton composé de ciment. Il est illusoire de penser pouvoir le remplacer du jour au lendemain pour tous les types de construction.

Le ciment le plus commun, le «Portland», est très robuste et facile à utiliser, surtout pour de grandes infrastructures. D’autres types de liants comme les nôtres, composés majoritairement de béton et de briques recyclés qu’on réactive, peuvent cependant facilement le remplacer sur un grand nombre d’applications quand la charge à porter n’est pas trop lourde. De surcroît, nos adjuvants permettent d’utiliser les mêmes infrastructures. On peut ainsi couler de la terre, comme on coulerait du béton.

Aujourd’hui, on utilise du ciment pour de mauvaises raisons. Dans bien des cas, on pourrait s’en affranchir en le remplaçant par de la terre. C’est important, car la transformation chimique du carbonate de calcium en oxyde de calcium – en chauffant le calcaire et l’argile à plus de 1400° C – est très polluante. Bien plus que l’électricité, qui peut être très peu carbonée (grâce au solaire ou à la géothermie, ndlr).

N’y a-t-il pas des normes qui imposent une quantité minimale de ciment dans le béton?

En Suisse, on peut s’en affranchir si le client est prêt à prendre le risque. La Société suisse des ingénieurs et des architectes (SIA) s’est emparée de ce sujet et réfléchit à comment ouvrir la porte à d’autres types de matériaux sans ciment. Le projet de recherche appliquée Think Earth, qui a débuté cette année avec des fonds de la Confédération, se penche aussi sur cette question, notamment sous l’égide de la professeure Simone Stürwald à Rapperswil.

Les «Oxablocs» – les briques de terre crue compressée produites par Terrabloc, qui comportent notre liant – respectent la norme SIA pour des maçonneries non porteuses et porteuses. Il reste quand même certaines précautions à prendre: on ne va pas, par exemple, exposer la brique de terre crue à de l’eau stagnante, car elle est moins résistante à l’humidité.

Les normes de construction ne sont-elles pas plus souples en France, votre pays d’origine?

Ce n’est pas plus simple. La France, par contre, est précurseure dans la construction en terre grâce à l’organisation CRAterre (Centre international de la construction en terre, ndlr) qui propose des formations depuis 1979 déjà.
En plus de la pollution émise par le ciment, le sable nécessaire au béton est en voie de raréfaction…

Après l’eau, le sable est le matériau sur terre le plus consommé. Utiliser la terre, qui contient en elle-même du sable – même si parfois pas suffisamment –, permettrait de diminuer la demande. Des solutions se développent également en prenant du béton recyclé à la place du sable, qu’on peut même recarbonater. C’est-à-dire qu’on lui réinjecte une partie du CO2 qu’il a émis lors de sa production.

Comment Oxara se développe-t-il?

Nous nous agrandissons, grâce à des bourses de recherche et à des investissements privés. Nous sommes impliqués dans la construction de la nouvelle ambassade de Suisse au Cameroun, avec des blocs de terre compressée. Nous avons quelques projets au Rwanda et en Tanzanie… L’Afrique est le seul continent qui va continuer à se développer, en termes démographiques. C’est un terrain de jeu immense pour les cimentiers qui veulent continuer à croître, alors qu’au niveau du climat, ce n’est pas adapté du tout. Mais comme le béton est perçu comme un signe de richesse, les gens sont prêts à payer assez cher…

Il s’agit donc de changer les mentalités… Comment imaginez-vous la construction dans dix ans?

J’imagine que de grands pas auront été faits dans la circularité des matériaux. Le monde de la construction est le premier consommateur de matières premières – et cela continue d’augmenter malgré les nouveaux labels. C’est aussi un très gros producteur de déchets. Dès lors, j’espère que le béton sera de plus en plus recyclé, que les normes ouvriront leur porte à de nouveaux liants, et que les matériaux bio-sourcés – la terre, la paille et le chanvre entre autres – seront beaucoup plus utilisés.

J’aimerais souligner que les nouveaux matériaux que nous proposons sont bénéfiques pour la planète, mais aussi pour les ouvriers. Car travailler la terre, c’est très agréable et pas plus difficile à mettre en œuvre. Sur un chantier, on utilise le même matériel, le même malaxeur, les mêmes outils. Sauf que couler la terre n’est pas corrosif. On peut la toucher. Je dirais même que le contact avec la terre rend les gens heureux.

Vous êtes optimiste…

Nous n’avons pas d’autres choix que d’être positifs. Les changements sont lents, mais si les cimentiers comprennent le rôle qu’ils ont à jouer dans la transition, cela pourrait aller beaucoup plus vite. Si le béton a nécessité tellement d’investissements qu’il est difficile à remplacer, les conséquences environnementales représentent un coût encore plus élevé. Nous n’avons pas besoin de béton, ni d’acier partout… On peut développer des solutions techniques dans la manière de combiner des matériaux, afin de maximiser leurs avantages respectifs, pour limiter les impacts environnementaux.

oxara.earth

Suisse Aline Andrey Durabilité Ecologie

Connexion