La pharma et la crise des opioïdes
La crise des opioïdes a pris la forme d’une épidémie d’overdoses mortelles qui a commencé aux Etats-Unis dans les années 1990 et s’est particulièrement renforcée dans les années 2010. Elle est due à la prescription d’opioïdes, tels que l’oxycodone ou le fentanyl, ainsi qu’à la consommation de drogues illicites (en particulier l’héroïne) vers lesquelles les patient·es se sont tourné·es une fois leur prescription terminée.
Cette crise a fait plus de 700 000 morts aux Etats-Unis depuis 1999 où la consommation de fentanyl est désormais devenue la cause première des décès des 19-49 ans.
Purdue Pharma et son marketing
Le scandale de l’oxycodone aux Etats-Unis est emblématique du problème causé par la commercialisation agressive de médicaments fortement addictifs. Cette puissante substance opiacée analgésique, commercialisée sous la marque OxyContin par le laboratoire Purdue Pharma dans les années 1990, a été activement promue auprès des médecins comme peu addictive, en dépit des mises en garde de certains experts. Une campagne marketing agressive ciblant les prescripteurs a conduit à une large surconsommation de cette «pilule miracle» permettant un soulagement prolongé de la douleur.
Les effets ont été dévastateurs. En quelques années, des millions d’Américain·es se sont retrouvé·es accros à l’OxyContin, devenant la proie d’un marché noir tentaculaire d’opioïdes détournés, une fois leur prescription tarie. Nombre d’entre elles et eux se sont tourné·es ensuite vers l’héroïne, alimentant une crise de décès par overdose qui perdure encore aujourd’hui dans de nombreux Etats. Purdue Pharma, et la richissime famille Sacker la détenant ont été condamnés à plusieurs reprises à payer des milliards de dollars de pénalités et de dédommagements aux victimes de traitements à l’OxyContin.
Un problème structurel
Mais Purdue Pharma est loin d’être un cas isolé. L’histoire regorge d’exemples d’entreprises pharmaceutiques ayant sciemment éludé les risques de dépendance de certaines molécules, souvent en collusion avec des experts médicaux véreux apportant une caution scientifique de façade, ou en minimisant les effets secondaires auprès des instances régulatrices.
On pense notamment aux multiples controverses entourant les différentes gammes d’antidépresseurs, dont les effets secondaires ont été tristement banalisés, des cas avérés de dépendance physique étant fréquemment renvoyés à de simples «symptômes de sevrage» anodins. Des lanceuse·eurs d’alerte ont également dénoncé les pressions exercées en interne pour minimiser les signaux inquiétants, les labos jaugeant la balance bénéfices/risques en priorisant le retour sur investissement et le taux de profit plutôt que la santé des potentiel·les patient·es.
Renforcer la régulation
S’attaquer à la racine de ce problème nécessiterait pourtant une profonde refonte des processus d’homologation, de commercialisation et de surveillance des médicaments, encore trop dépendants des informations fournies par les entreprises pharmaceutiques. Il faudrait aussi repenser les modèles économiques prédateurs, orientés profit et chiffre d’affaires, en faveur d’incitations à promouvoir de réels progrès thérapeutiques au bénéfice de la santé publique. Une régulation extrêmement stricte de ce marché très particulier est nécessaire, face aux dérives de la grande pharma indécemment enrichie sur le dos de la douleur humaine.
Plusieurs actions ont été menées pour tenter de limiter la crise comme la restriction des prescriptions médicales, la distribution de naloxone (un antidote aux surdoses), la mise en place de salles d’injection supervisées, la décriminalisation de la possession de drogue. Cependant, ces mesures restent insuffisantes et le nombre d’overdoses a recommencé à monter: 107’000 overdoses aux opioïdes ont été dénombrées aux Etats-Unis en 2021.
En Suisse, la consommation d’opioïdes augmente également. En 2020, la majorité des 142 décès dus à des overdoses était liée à des opioïdes.
Article paru dans le dossier «drogues» du dernier numéro de la revue Pages de gauche (no 191, printemps 2024), pagesdegauche.ch