«Juliette au printemps», chronique familiale autour d’une dépression
Après avoir abordé la ménopause (Aurore, 2017) puis l’histoire du MLAC (Annie Colère, 2022), la réalisatrice Blandine Lenoir fait un pas de côté en adaptant1>Juliette au printemps, Blandine Renoir, 2024. le roman graphique de Camille Jourdy, Juliette: les fantômes reviennent au printemps, publié en 2016.
Il s’agit cette fois d’une chronique familiale qui se déroule à partir du retour dans sa famille de Juliette, une trentenaire dépressive, dont Blandine Lenoir a fait l’alter ego de Camille Jourdy, puisqu’elle est dessinatrice: on voit à plusieurs reprises sa main en train de dessiner, pour «doubler» l’actrice Izia Higelin qui incarne Juliette.
Comme souvent la réussite d’un film choral tient en grande partie à la distribution: Izia Higelin (qui est aussi musicienne et chanteuse de rock) est très émouvante, constamment entre sourire et larmes, présence silencieuse mais attentive à son entourage, à la recherche de souvenirs qui lui échappent, utilisant son crayon pour fixer ses émotions. On a le plaisir de retrouver l’actrice Sophie Guillemin, autrefois maltraitée dans le film de Cédric Kahn, L’Ennui (1998), et qui trouve ici un rôle où son physique généreux n’est plus un objet de fixation fétichiste, mais l’expression d’une énergie et d’une sensualité jubilatoire. Mère de famille débordée, elle cherche à échapper à un quotidien épuisant en entretenant une relation sexuelle ludique avec un expert en déguisements, qui vient la voir déguisé en ours, en perroquet, en lapin ou en fantôme…
Selon la réalisatrice (dossier de presse), «le défi était de représenter une sexualité joyeuse, charnelle, sensuelle, avec des corps ‘normaux’ qui ne correspondent pas aux canons imposés, ce qui est finalement assez rare au cinéma. Dans la plupart des films, les scènes de sexe sont jouées par des acteurs et actrices avec des corps jeunes, très minces et musclés, qui font l’amour avec beaucoup de sérieux et pas mal de brutalité… on ne s’y reconnait pas toujours.» On ne saurait mieux dire! L’un des enjeux d’un cinéma féministe est en effet d’inventer d’autres façons de représenter des corps nus et des scènes sexuelles. Blandine Lenoir relève le défi en filmant les rondeurs des corps féminin et masculin avec empathie et sensualité, mais aussi avec humour.
On retrouve aussi Jean-Pierre Darroussin, venu de chez Guédiguian, en père taiseux et maladroit, accueillant gentiment sa fille sans réussir à lui parler. En contrepoint, Noémie Lvovsky incarne une mère survoltée, qui a quitté depuis longtemps le domicile familial et change d’amant plus souvent qu’à son tour. On la rencontre à l’occasion de l’exposition de ses toiles où les vagins et les seins rivalisent de couleurs vives… C’est là sans doute une petite entorse à la vraisemblance, compte tenu du milieu très modeste et provincial où se situe l’histoire.
Innovation intéressante par rapport à la BD: la grand-mère incarnée par Liliane Rovère (qu’on a vu dans la série Dix pour cent), contrairement à la BD, n’a rien perdu de sa mémoire même si elle divague quelquefois. Grâce à elle, Juliette pourra mettre un nom sur le trauma oublié de son enfance.
Enfin, Blandine Lenoir a choisi un acteur noir, Salif Cissé, pour incarner Pollux, l’ami de rencontre qui était dans la BD un pilier de bar alcoolique assez peu reluisant. Pollux est le locataire de la maison de la grand-mère qui entretemps a dû partir en EPHAD, où elle a heureusement trouvé un amoureux! Il est, comme Juliette, un solitaire qui se lie plus facilement avec les animaux, ici un caneton dont il partage la garde avec Juliette, tout en promenant le chien de la tenancière du bistrot local. Leur amitié se forge sur leur commune compréhension de la dépression, que Pollux définit comme le passage dans une «dimension tragique».
Enfin on reconnaît la «touche» Blandine Lenoir à l’ajout d’un détail qui n’est pas dans la BD: la dépression de Juliette se manifeste par l’arrêt de ses règles depuis un an, et c’est le sang menstruel qui viendra marquer qu’elle a retrouvé le goût de vivre.
Comme dans la BD, le milieu représenté dans le film est celui des petites gens, dont Juliette s’est éloignée en devenant dessinatrice et en partant pour Paris. L’attention aux détails des maisons, des appartements, des pièces et aux gestes quotidiens donne du prix à ces vies modestes, et le regard empathique de la cinéaste donne de la valeur à chaque individu.
Certes la famille est un lieu traumatisant, épuisant, étouffant, surtout pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Mais c’est aussi un lieu de réconfort, de partage, de tendresse. Juliette au printemps tente de tenir l’équilibre entre ces deux visions, en évitant aussi la grisaille, car le film est plein de couleurs, aussi bien grâce aux décors qu’aux acteurs et actrices.
Notes
Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net