Capitalocène, le renouveau de l’écomarxisme
La notion de capitalocène est de plus en plus utilisée pour désigner notre ère de destruction écologique.
Anthropocène contre capitalocène
La notion d’Anthropocène apparaît en 2002 sous la plume du scientifique Paul Joseph Crutzen. Elle désigne l’idée d’une nouvelle ère géologique où l’action humaine serait la principale force de transformation de l’environnement.
Néanmoins, cette notion peine à s’imposer chez les géologues. En juillet 2023, un groupe de scientifique décide de proposer comme marqueur de l’anthropocène le lac Crawford au Canada. L’anthropocène daterait alors des années 1950, ce qui correspond aux premiers essais atomiques, mais également à ce que l’on appelle la Grande Accélération. Cette époque se caractérise par une accélération des innovations technologiques, mais également des dégradations environnementales.
Mais en mars 2024, l’Union Internationale des sciences géologiques refuse encore de reconnaître l’anthropocène comme une ère géologique car la temporalité de cette ère serait beaucoup plus courte par rapport aux autres.
Néanmoins, la notion d’anthropocène n’agite pas seulement les sciences de la vie et de la terre, elle est l’objet également d’une réception en philosophie et sciences humaines et sociales. Ainsi, le politiste Nathanael Wallenhorst lie l’anthropocène et une tendance anthropologique de l’être humain au dépassement (hybris). L’être humain serait conduit à dépasser les limites planétaires.
C’est justement ce lien entre l’humanité et les dégradations environnementales que conteste les écomarxistes. L’idée d’anthropocène renvoie à l’anthropos dans son ensemble et non pas à certains groupes sociaux en particulier. Or peut-on dire que les personnes les plus pauvres ont le même poids dans la destruction de la planète que les riches ?
Capitalocène contre capitalocène
Néanmoins, si les théoriciens écomarxistes sont d’accord pour voir dans le capitalisme les causes des dégradations environnementales, ils ne sont pas en accord sur d’autres points . Deux figurent sont particulièrement influentes depuis le milieu des années 2010 concernant ces débats. Il s’agit du suédois Andréas Malm et de l’Etasunien Jason Moore.
Un premier point de divergence entre eux porte sur le début du capitalocène. Pour Malm, dans L’anthropocène contre l’histoire, les débuts se situent au moment de la Révolution industrielle en Angleterre avec l’émergence du capitalisme fossile.
Pour sa part, Moore, dans Comment le monde est devenu Cheap, remonte plus tôt à l’époque de la colonisation de Madère par les Portugais. Il y voit, avec son collègue Raj Patel, les débuts d’une configuration historique qui articule exploitation coloniale, capitaliste et patriarcale.
Une autre différence entre les deux auteurs concerne leur conception du rapport entre nature et capitalisme. Moore considère que le capitalisme est un régime écologique particulier. Ce qu’il veut dire, c’est que l’idée de nature a été construite, à l’époque moderne, de manière à penser l’environnement comme une réalité extérieure à l’être humain qui peut être exploitée.
Malm, au contraire, défend une conception réaliste. Cela signifie qu’il s’oppose à Moore, mais également à Bruno Latour par exemple, en considérant que la nature existe indépendamment du capitalisme et de l’être humain. Ce réalisme lui paraît important pour au moins deux raisons. Le premier consiste à considérer que les connaissances scientifiques sur le climat ne sont pas que des constructions sociales, mais réfèrent à une réalité indépendante à l’être humain. Une autre raison tient au fait que pour lui, il existe une différence entre l’être humain et les êtres non humains. Seul l’être humain est doté d’intentionnalité et a donc la capacité d’agir pour transformer la société afin d’arrêter les dégradations de la nature.
Néanmoins, cette opposition entre Malm et Moore concernant le statut de la nature peut avoir une autre implication qui ne semble pas nécessairement développée par les auteurs.
En effet, généralement les auteurs qui considèrent que la nature est une réalité en soi, indépendante de l’être humain, tendent à défendre également l’idée qu’il faudrait protéger la nature des atteintes humaines, en réduisant la place de nature humanisée au profit de la nature sauvage.
Au contraire, ceux qui affirment le caractère inextricable de la nature et de la culture tendent à être plus ouverts à préserver des agencements comme ceux que produisent les paysanneries traditionnelles par exemple.
Pour terminer, il est ainsi possible de remarquer qu’alors que le marxisme avait semblé peu en pointe sur les questions écologiques, et avait pu être associé au productivisme, il constitue actuellement un des espaces d’élaboration théorique les plus dynamiques susceptible de nourrir les luttes écologiques.
Irène Pereira est sociologue et philosophe, cofondatrice de l’IRESMO, Paris. Dernière publication: Le féminisme libertaire, éd. Le Cavalier Bleu, Paris, 2024.