Grand Paris (F)estival
Chaque été voit des feux naître, des petits foyers d’effervescences collectives aux flambées des masses en liesse. Aux fenêtres des demeures, le son des fêtes résonne. Comme si dehors, l’intensité de la vie augmentait. Cette année à Paris, une flamme remonte en même temps que le mercure, pour la première fois depuis 1924. De l’eau insalubre a coulé sous les ponts de la Seine. Pour se remettre en forme olympique, la Ville Lumière nettoie ses rives et soigne la mise en scène de la dérive, faisant le grand pari de Jeux responsables.
Sans l’air conditionné, le village olympique mise sur les qualités du bâti pour s’acclimater aux températures. Mais, pour tempérer les ratures, des délégations prévoient d’apporter leur propre climatisation. Coca-Cola, le plus ancien partenaire du mouvement olympique, revoit son plan de distribution «pour répondre aux enjeux d’économie circulaire»: les boissons seront servies au public dans des écocups, mais les trois quarts proviendront de bouteille en plastique à usage unique: «médaille d’or du greenwashing»1>Une enquête à lire sur Vakita.fr, avec l’association France Nature Environnement (FNE).. De son côté, le Comité d’organisation dit viser un bilan carbone divisé par deux comparé aux Jeux de Rio (3,6 millions de tonnes) et Londres (3,4 millions).
Des fictions qui, elles, ne manquent pas d’air et cachent d’autres frictions: destruction de jardins ouvriers pour faire place à la piscine, abattages d’arbres et bétonnage de sept hectares de parc pour le village des médias. Dans son dernier livre2>Paris 2024. Une ville face à la violence olympique, Divergences, 2024., Jade Lindgaard (2024) décrit «une ville face aux violences olympiques»: évacuation de squats, renforcement des pressions sécuritaires sur l’espace public, délogement des personnes sans abri et expulsion des plus précaires hors Ile-de-France. Ces formes d’exclusion, d’effacement et de substitution au nom de «l’intérêt national» provoquent la colère des associations qui dénoncent «un nettoyage social». Contrairement à ce que fait croire le film catastrophe Sous la Seine actuellement sur Netflix, les requins ne chassent pas que dans l’eau.
Après les gilets jaunes et en pleine marée brune (presque 40% aux récentes élections européennes), les JO «les plus verts» témoignent de profondes divisions au sein de la société française. A l’instar de la version colorée de La vie en rose chantée par Edith Piaf en 1946 et interprétée par Aya Nakamura, star du moment qu’une partie de l’opinion publique ne saurait voir en maîtresse de cérémonie d’ouverture.
En 2021, le Capital international olympique a complété l’antique devise «plus vite, plus haut, plus fort» du terme «ensemble». Mais un tel paquebot n’abîme pas seulement des récifs coralliens pour l’épreuve de surf à Tahiti, il pollue les récits collectifs. Si la tradition du carnaval symbolise, derrière les masques, un renversement temporaire des pouvoirs, Paris 2024 ressemble plutôt à du jet-setting: des fêtes exclusives, à la hauteur des privilèges des convives, où le champagne gratuit coule à flots.
Si «l’urbanisme par bombardement» attire les profits après les conflits, c’est en amont que les JO distribuent les médailles et leurs revers en offrant sur un plateau d’or, d’argent et de bronze des villes plus attractives qu’attachantes à (dé-)construire. Guerres et Jeux préfigurent ainsi des transformations urbaines radicales, mais dont la temporalité immobilière diffère. Une manifestation comme les JO n’est pas le miroir de la société, mais un produit d’appel, un spectacle qui réduit la ville à une succession de décors convenus et d’enseignes uniformes: des espaces aménagés, pour recevoir des corps conformes à ménager et décevoir des corps marginaux à déménager. La matière même qui creuse les inégalités et reproduit des violences, des maux qui affectent la chaire des vivants dans l’angle mort des chiffres et des mots. A la fin de l’été, la Palestine sera-t-elle représentée aux épreuves paralympiques? Avant que ne vienne une éternelle trêve olympique…
Notes
Lucien Delley est sociologue, LaSUR EPFL.