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Clap de fin pour le Salon du livre africain

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

La semaine dernière, un communiqué de presse émanant du Salon du livre de Genève annonçait «être contraint de mettre un terme au Salon africain du livre, en raison de la perte d’un important soutien financier», tout en précisant que le Prix littéraire Ahmadou Kourouma serait maintenu.

Cela faisait une vingtaine d’années que la coopération suisse (DDC) finançait la quasi-totalité du Salon africain du livre – créé en 2004 par l’éditeur suisse Pierre-Marcel Favre – ce qui, en soit, constitue un petit miracle. En vingt ans, ce Salon qui a accueilli des centaines d’auteurs du continent, de la diaspora ainsi que des éditeurs s’est taillé une solide réputation sur la scène littéraire internationale.

L’annonce de sa disparition a créé un émoi certain dont les réseaux sociaux se sont fait écho. De nombreuses personnes, des écrivains mais aussi des habitués de ce Salon, ont exprimé leur tristesse de le voir disparaître, tout en se réjouissant qu’il ait pu durer autant d’années, avec son lot de découvertes, de rencontres, de débats riches et denses, de moments magiques.

Signe des temps? Le Salon africain du livre de Genève disparaît au moment où on assiste à une montée en puissance des salons du livre sur le continent. En mai dernier, le Salon international du livre d’Abidjan (SILA) a ainsi accueilli plus de 125 000 visiteurs sur le site du nouveau Parc des expositions, avec la participation de quelque 80 maisons d’éditions et d’exposants. En février, la Rentrée littéraire du Mali a une fois de plus multiplié les cafés littéraires, les rencontres scolaires entre auteurs et lycéens, proposé des ateliers de formation aux métiers du livre. Et en avril, les 72 heures du livre de Conakry, en Guinée, ont à leur tour essaimé en divers lieux pour permettre au public de rencontrer ses auteurs. On constate une même effervescence en matière de salon du livre dans les pays anglophones, avec l’Afrique du Sud et le Nigeria en leaders. L’émulation est telle sur le continent qu’un Réseau africain des manifestations littéraires (RAMALI) a été créé, pour éviter les collisions de dates.

L’annonce de la disparition du Salon africain du livre de Genève s’est également traduit, sur les réseaux sociaux, par une volonté renouvelée d’organiser, sur le continent, des «salons de référence, de la dimension de celui de Genève ou de Paris», qui transcendent les frontières nationales. Assorti d’un appel à l’union, adressé aux éditeurs, car la diffusion des livres édités sur le continent demeure un casse-tête jusqu’à aujourd’hui. Paradoxalement, les auteurs africains édités en France se retrouvent plus facilement dans les librairies d’Afrique francophone que ceux produits à Dakar ou Douala. Outre la circulation des livres d’un pays à l’autre, un autre défi est celui du financement. Les commissaires de chacun des salons littéraires déploient des trésors d’imagination et de savoir-faire pour parvenir à boucler leurs comptes, en se tournant aussi parfois vers les pouvoirs publics pour avoir un appui. Avec le risque que des maisons d’édition ou des auteurs, jugés trop critiques à l’égard du pouvoir en place, soient écartés.

Lorsque je m’étais occupée, pendant un temps, de la programmation du Salon africain de Genève, je me souviens que l’écrivaine Marie NDiaye avait refusé notre invitation, estimant qu’elle était une écrivaine, point barre. Elle ne voulait pas être cantonnée dans un «salon africain». Son vœu sera en quelque sorte exaucé, puisque les responsables du Salon du livre de Genève, dans leur souhait de «faire rayonner la Francophonie et ses littératures plurielles», continueront à inviter dans leurs différentes programmations des auteurs d’origine africaine ayant une actualité littéraire, mais sans que ceux-ci ne soient cantonnés dans un «Salon africain».

*Journaliste

Opinions Chroniques Catherine Morand Est-ce bien raisonnable?

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lundi 8 janvier 2018

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