A propos du choléra
Chez nous, on ne sait souvent plus très bien ce qu’est le choléra, même si on utilise l’expression: comment choisir «entre la peste et le choléra», ce qui sous-entend tout de même que c’est une maladie potentiellement grave.
D’ailleurs, un article récemment publié dans une revue scientifique s’intitulait: «Mourir du choléra en France en 2024f1>Kristell Delarue, «Mourir du choléra en France», La Revue du praticien, 6 juin 2024.». En lisant son contenu, on comprend vite que cela se passe à Mayotte, et que c’est lié à une épidémie en cours aux Comores voisines. Cela reste choquant quand on sait que l’OMS dit du choléra qu’il «constitue, à l’échelle globale, un indicateur de l’absence d’équité et d’un développement social insuffisant. C’est une maladie de la pauvreté qui touche les personnes n’ayant pas un accès suffisant à l’eau potable et aux services d’assainissement de base.» Donc pas très glorieux pour un territoire d’outre-mer français!
Le choléra est une maladie due à une bactérie qui provoque une diarrhée aqueuse extrêmement abondante (on peut perdre plusieurs litres par jour!) et les décès sont liés à la déshydratation et au choc secondaire: en l’absence de traitement, la mortalité avoisine les 50% alors qu’avec un bon suivi elle devrait se réduire à moins de 1%. Le choléra se transmet par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par les selles d’une personne infectée. Selon les données de l’OMS, les cas et donc les débuts d’épidémie sont en augmentation depuis de nouveau quelque 10 ans, avec 450 000 cas en 2022 et 700 000 en 2023. Fin avril 2024, l’OMS signalait que «l’escalade de la flambée de choléra s’est considérablement aggravée dans le monde». Elle attribuait cette situation à deux facteurs, dont l’intensification des effets du changement climatique, tels que les sécheresses et les inondations -c’est particulièrement vrai pour l’Afrique de l’Est et Centrale actuellement-. A titre d’exemple, les cas de choléra au Mozambique ont été multipliés par dix après le passage du cyclone Freddy, qui, début 2023, a privé d’eau potable une partie des habitants. Sans oublier les situations de guerre avec les déplacements de populations secondaires, souvent regroupées dans des camps improvisés. Mais, l’autre facteur important de la recrudescence de cas est un manque criant de financement pour lutter efficacement contre les flambées de choléra.
La prévention primaire du choléra est l’accès à de l’eau potabilisée et l’assainissement de base: cela paraît simple, et pourtant, en dehors de toute crise, il y a encore plus d’un milliard de personnes à qui ce droit de l’homme reconnu n’est pas «accordé». En plus de toutes les maladies qui peuvent en découdre, un rien peut déclencher une épidémie de choléra.
Dans la prévention secondaire, soit une fois qu’une épidémie a débuté, il faut bien sûr soigner rapidement les malades et donner un accès à de l’eau potable, mais aussi, et c’est important, vacciner l’entourage pour essayer de casser les chaînes de transmission. Un vaccin oral (VOC), facile à administrer et efficace, existe. Or, selon le groupe de coordination de crise du choléra, il y a une pénurie critique de ces vaccins. Depuis janvier 2023, les demandes de VOC ont explosé, avec 82 millions de doses demandées par 15 pays, soit près du double des 46 millions de doses produites au cours de cette période. Le stock mondial de vaccins a été épuisé jusqu’au début du mois de mars. Au 6 mai 2024, le stock comptait 3,2 millions de doses, ce qui est inférieur à l’objectif de cinq millions de doses fixé pour le stock mondial. Il faut dire que, en 2022, une filiale indienne du groupe Sanofi a arrêté de produire son vaccin, pour des raisons économiques et de réorientation de production, en se moquant des incidences de santé publique que cela pouvait avoir. C’est alors que, face à l’urgence, l’OMS a recommandé de ne faire plus qu’une seule dose vaccinale, rendant la protection très courte et donc moins bonne, mais permettant néanmoins d’atteindre l’objectif de casser la chaîne de contamination. Actuellement, il n’y a plus qu’un seul producteur de vaccin, en Corée du Sud, qui essaie au mieux d’augmenter la production.
L’OMS a approuvé, en avril de cette année, une version simplifiée d’un vaccin oral contre le choléra, qui semble aussi efficace et bien toléré, ce qui devrait permettre d’augmenter la production totale de ces sérums et d’aider à répondre mieux à l’explosion des cas dans le monde. Mais tout cela coûte de l’argent et les fonds manquent cruellement. Et se pose la question de qui doit payer?
Cet exemple montre une fois de plus que l’équité en santé est loin d’être acquise, et que notre mode de vie, avec son impact écologique, a une incidence démontrée aussi sur une telle maladie…sans parler des conflits armés (mais c’est un autre sujet).
Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.
Notes