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«Non à la déportation en pays tiers des Erythréens déboutés»

«La motion PLR passée au Conseil national visant à déporter les réfugiés érythréens déboutés dans un pays tiers est consternante.» Via une tribune, des expert·es, associations et représentations de partis politiques font part de leur indignation contre «une décision ubuesque, qui traduit le déni chez certains représentants politiques de la réalité du soft power exercé en Suisse par la dictature érythréenne».
Asile

Le 9 juin, 125 conseillers nationaux se sont laissés porter par le rêve d’une déportation de masse et d’un pays bien éloigné qui, moyennant finance, prendrait en charge les réfugiés érythréens déboutés de Suisse, et s’occuperait de gérer leur rapatriement en Erythrée. Un malaise, bien sûr. Le froid dans le dos, l’indignation, bien sûr. Mais aussi une pensée rassurante, celle que, malgré le contexte solennel, la motion PLR n’est qu’un fantasme qui ne peut pragmatiquement pas se réaliser: pour mettre en place un accord fonctionnel de transit par un pays tiers, il faudrait déjà que Berne et Asmara aient un accord concernant le retour des réfugiés, ce qui n’a jamais été le cas et ne le sera probablement jamais. Aussi, le pays avec lequel l’accord de «transit» serait mis en place ne pourrait servir de pont qu’entre la Suisse et… la Suisse. Et cela en se rendant au passage dépendante à grands frais d’un Etat tiers, dont elle devra garantir la fiabilité en matière de respect des droits humains auprès des institutions nationales et internationales.

Le Conseil fédéral, c’est-à-dire l’exécutif, a déjà refusé l’année dernière d’entrer en matière quant à la mise en place de cette mesure irréalisable. Depuis le vote du 9 juin, le voilà maintenant forcé de tenter de donner corps à ce tour populiste qui se soldera selon toute vraisemblance par une série laborieuse d’échecs, comme son modèle, le plan britannique de déportation des demandeurs d’asile au Rwanda. Depuis 2022, ce dernier n’a été qu’une succession de ratés, n’a pas freiné l’augmentation de l’arrivée des exilés en Angleterre et a été tout juste bon à pousser le pays au bord de la sortie de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Les rixes sporadiques impliquant certains réfugiés érythréens ne sont nullement dirigées contre la Suisse, son peuple, sa société et son accueil. S’il faut effectivement enrayer ces violences, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’hooliganisme, mais des conséquences évitables de la pression asphyxiante du gouvernement érythréen sur les réfugiés localisés en Suisse.

La vérité que les supporters de la motion du 9 juin ne veulent pas admettre, c’est que l’Erythrée, dictature d’Afrique moins peuplée que la Suisse et au PIB près de 330 fois plus petit, exerce une influence réelle et déstabilisante sur toute l’Europe. Les violences ne sont pas importées par les réfugiés, mais expédiées par le gouvernement érythréen, grâce à l’ingérence de ses agents progouvernementaux sur le territoire Suisse, notamment lors d’évènements de propagande maquillés en festivals culturels.

Loin des chimères populistes, des mesures simples, applicables et efficaces peuvent être mises en place en Suisse: cesser le recours aux ambassades érythréennes dans les traitements des demandes d’asile; bloquer le prélèvement de l’impôt de 2% sur la diaspora; lutter contre les fichages, la propagande et les pressions exercés par les agents du gouvernement érythréen. En somme, protéger pour de bon les personnes sur le sol suisse.

Fuir la conscription érythréenne est une raison légitime de demande d’asile, comme le répètent inlassablement le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et les associations travaillant sur la question, n’en déplaise à ceux pour qui la Suisse est au-dessus des droits humains. Il ne faut jamais oublier que renvoyer un Erythréen, c’est le condamner. Le Conseil des Nations unies contre la torture (CAT) a déjà dénoncé six fois les agissements de la Suisse quant au traitement des réfugiés érythréens: faisons front contre cet entêtement morbide. Une politique d’asile et de protection est la seule manière de contrecarrer les violences et de contribuer à un climat social assaini tant pour les réfugiés érythréens que pour le reste des habitants de la Suisse.

Liste des signataires:

Pr David Bozzini – Anthropologie sociale, Université de Fribourg
Pr Didier Péclard – Etudes africaines, Université de Genève
Pre Estelle Sohier – Histoire culturelle, Université de Genève
Pr Cornelia Hummel – Sociologie, Université de Genève
Pr Johannes Schubert – Anthropologie politique, Université de Bâle
Pre Alix Heiniger – Histoire contemporaine, Université de Fribourg
Pre Armelle Choplin – Géographie, Université de Genève
Pr Wolbert Smidt – Ethnohistoire, Université de Iéna/Mekele
Pre Mirjam van Reisen – Relations internationales, Université de Tilsburg
Martin Plaut – Journaliste/chercheur, Université de Londres
Dr Alexander Meckelburg – Anthropologue, University College London
Matteo Bächtold – Doctorant, Collège de France
Les Verts Genevois
Le Parti Socialiste Genevois
Ensemble à Gauche
SolidaritéS
Christian Zaugg – Président du DAL (Défense des aîné.es, des locataires, de l’emploi et du social)
Valentin Prélaz – Président de la Fédération socialiste du district de Sierre
Coordination asile.ge
United 4 EritreSOSF (Solidarité sans frontières)
Samson Yemane – Politologue et co-président de Eritreischer Medienbund Schweiz
Julia Duncan-Cassell – Présidente de EEPA (Europe External Program with Africa)
Meron Desta – Porte-parole de ADEHA (Association for Dialogue and Exchanges with the Horn of Africa)
Me Laïla Batou – Avocate au barreau de Genève
Me Pantea Sadeghipour – Avocate au barreau de Genève
Emmanuel Deonna – membre du comité de la Ligue Suisse des droits de l’homme
Dr Wolfgang Heinrich – Consultant
Asia Abdulkadir – Consultante
Amir Ghidey – Défenseur des droits humains
Jordanos Ghidey – Défenseur des droits humains
Rinoy Pazhayamkottil – Défenseur des droits humains
Kibrom Andom – Défenseur des droits humains

La liste des signataires (plus d’une trentaine) est à retrouver en ligne sous lecourrier.ch/rubrique/opinions/

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