«Le piège de la priorité à la naturalisation»
Jamais l’enjeu d’une votation cantonale genevoise n’a été aussi crucial. Un seul bulletin de vote peut faire pencher la balance au soir du 9 juin entre, d’une part, 108 300 citoyen·nes supplémentaires dès la prochaine votation de septembre si le «oui» l’emporte à l’initiative «Une vie ici, une voix ici» et, de l’autre, le maintien pour de longues années de 41,6% de la population résidente à l’écart de la participation aux événements rythmant la vie politique genevoise du canton.
Un slogan est répété en boucle par les adversaires des droits politiques pour les étrangers: «S’ils en veulent plus, ils n’ont qu’à se naturaliser!». La toute première objection à opposer à cette injonction n’est pas de s’enferrer dans la démonstration de son impraticabilité du fait des durcissements continus de la loi sur la nationalité (LN). C’est de convaincre que la nationalité ne remplit pas l’objectif premier de l’initiative: mettre fin à l’injustice pesant sur les étrangers résidents en les privant d’intervenir dans la vie politique de leur circonscription.
Parmi les différences de principe entre citoyenneté et nationalité, la citoyenneté n’a pas à faire l’objet de demande ou preuve de capacités autre que celles requises par le séjour (minimum 8 ans), n’est ni transmissible, ni définitive et admet plusieurs échelles territoriales.
La possession d’un passeport accorde tous les droits politiques à son titulaire. Mais au prix d’une série de caractéristiques non souhaitables ou non immédiatement nécessaires. Les résident·es en mal de participation requièrent-ils de pouvoir à vie sortir et rentrer en Suisse, travailler dans le canton de leur choix, en changer ou s’installer durablement à l’étranger en conservant leurs droits politiques cantonaux, conférer la nationalité à leur progéniture, en faciliter l’octroi à leur parentèle, bénéficier de la protection de l’ambassade ou d’un rapatriement où qu’on se trouve, être inexpulsable du territoire national, codécider de la politique étrangère…? Non, bien sûr. C’est le dernier service à rendre à la naturalisation que de la dévoyer en marchepied de la citoyenneté locale.
Une naturalisation débarrassée de relents identitaires, inégalités d’application ou conditions humiliantes d’attestation d’intégration est-elle à portée? A notre sens, geindre sur les embûches de l’accès à la naturalisation risque de conforter l’idée que la citoyenneté cantonale ne serait qu’un pis-aller. L’accès à une citoyenneté complète, mais limitée au plan cantonal, que réclame l’initiative est en passe d’aboutir, alors que toute modification de la LN requiert l’assentiment des deux chambres et l’approbation de la majorité des cantons. Alors que règne en Suisse alémanique, au Tessin, et même aux Grisons ou Appenzell, un désert en matière de droits politiques des étranger·ères, la contradiction entre revendiquer une citoyenneté indépendante de la nationalité et mener campagne sur la naturalisation reste béante.
Enfin, à supposer qu’un tiers des résident·es étranger·ères se résolvent à demander leur naturalisation, un simple calcul montrerait que, compte tenu du compte-gouttes annuel des naturalisations même à Genève, il faudrait une vingtaine d’années pour atteindre l’objectif d’inclusion à portée de scrutin cantonal du jour au lendemain.
Le 9 juin, au lieu de tomber dans le panneau de la priorité à la naturalisation tendu par les droites extrêmes et gouvernementales et la partie du Centre faisant collusion avec des idées marquées de xénophobie, empruntons la voie de la lucidité et de l’efficacité en votant «oui» à l’initiative genevoise qui débloque la voie d’une démocratie à égalité de droits et devoirs de tous les résident·es à long terme du canton.
Dario Ciprut est président honoraire de l’association Droits politiques pour les résident·es à Genève (DPGE).