Faire du stalking un délit
«Je l’ai bloqué sur WhatsApp, donc il m’a appelée, envoyé des SMS, des e-mails puis contactée sur tous les réseaux sociaux: Instagram, Facebook, Snapchat… Le lendemain matin, il m’attendait devant mon travail», se souvient Amélie*. En racontant son histoire à La Liberté, la Vaudoise ose le parallèle avec l’histoire de Donny, un barman londonien harcelé par désormais la célèbre stalkeuse Martha dans la série à succès Mon Petit Renne, diffusée sur Netflix depuis avril dernier.
Si le harcèlement obsessionnel, ou stalking, divertit les téléspectateurs, il est avant tout le quotidien de nombreuses victimes qui, aux yeux de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, ne sont pas assez protégées. Débattue ce jeudi en session parlementaire, une initiative demande l’inscription du stalking dans le Code pénal.
Le terme stalking vient du vocabulaire anglais de la chasse, où to stalk signifie approcher furtivement sa proie. Dans le langage courant, on parle de stalking lorsque l’on visite le profil en ligne d’un collègue ou d’une nouvelle connaissance par curiosité. Pour les spécialistes en revanche, le stalking désigne le harcèlement intentionnel et répété d’une personne, au point de la faire se sentir oppressée ou menacée.
Ce harcèlement peut prendre de nombreuses formes: communications non sollicitées, appels, espionnage, traque, insultes et menaces, violation de domicile, voire agressions corporelles et sexuelles. Sur sa page internet dédiée, la prévention suisse de la criminalité décrit le stalking comme un «terrorisme psychique» pouvant inclure des atteintes physiques.
Créer une norme spécifique
Dans le droit en vigueur, certaines actions individuelles qui relèvent du harcèlement obsessionnel peuvent déjà être passibles de sanctions en vertu des normes pénales existantes, telles que les menaces, la contrainte, les délits contre l’honneur ou encore les lésions corporelles. Il manque toutefois une norme visant explicitement le stalking.
L’initiative déposée par la commission cherche à combler cette lacune et propose de faire du harcèlement obsessionnel une infraction pénale clairement définie, punissable d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à trois ans ou d’une peine pécuniaire. Après avoir reçu une évaluation positive du Conseil fédéral, l’objet sera débattu devant la Chambre basse de l’Assemblée fédérale ce jeudi.
«Toute cette histoire a commencé quand j’avais 13 ans. Avec des amies, on allait régulièrement à l’épicerie du village pour acheter des bonbons, témoigne Céline*. Un jeune homme d’une vingtaine d’années y travaillait et nous regardait toujours avec insistance. Un jour, je ne sais pas comment, il a trouvé mon profil Facebook, m’a ajoutée et a commencé à me parler. Il voulait me rencontrer.»
D’abord avenant, le stalker se révèle agressif lorsque Céline refuse ses avances. «Je l’ai bloqué sur les réseaux mais il créait de nouveaux comptes. Il a ensuite trouvé mon numéro de téléphone. Je l’ai bloqué à nouveau mais il achetait apparemment de nouvelles cartes SIM, me contactait avec d’autres numéros… Parfois, il prétendait m’avoir aperçue ici et là, à des endroits où j’étais effectivement allée», confie la Vaudoise.
Apeurée, elle se confie à ses amies proches et à ses parents. Malheureusement, ces derniers ne prennent pas la mesure du harcèlement, qui a perduré jusqu’à ses 20 ans, soit durant plus de sept ans. «Depuis une année, il me laisse tranquille, j’ignore pour quelle raison», raconte la jeune femme. Bien qu’elle n’ait pas eu le courage ou le soutien nécessaire pour agir par le passé, Céline affirme: «Maintenant que je suis adulte, si cela se reproduit, je suis déterminée à rassembler toutes les preuves et à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette situation.»
Outre les premières rencontres à l’épicerie de son village, Céline n’a eu aucun contact réel avec son harceleur, qui l’a tourmentée confortablement installé devant l’écran de son téléphone. Le cyberharcèlement, tel qu’illustré ici, facilite en quelque sorte ce type de comportement.
«Ces dernières années, le harcèlement a pris une autre dimension avec l’avènement des nouvelles technologies. Les messageries en ligne et les réseaux sociaux permettent d’altérer la vie de manière bien plus intense que par le passé. On est loin des simples lettres anonymes…, commente Philippe Nantermod, rapporteur de l’initiative. Dans cette perspective, l’introduction d’une nouvelle norme pénale est tout à fait justifiée. Cela permettra de mettre en lumière un phénomène qui est devenu extrêmement problématique au fil des ans.»
«J’ai peur lorsque je marche dans la rue, lorsque je croise un homme qui lui ressemble, lorsque j’entends du bruit devant ma porte…»
Amélie*
Si le problème est bien réel, il n’existe aucune enquête représentative pour la Suisse portant sur l’ampleur du harcèlement obsessionnel dans la population. En effet, faute d’être reconnu comme un délit, ni la statistique policière de la criminalité ni celle de l’aide aux victimes ne disposent de chiffres à ce sujet.
Toutefois, des enquêtes menées à l’étranger estiment qu’environ 15 à 18% des femmes et 4 à 6% des hommes ont été victimes de stalking au moins une fois dans leur vie. Dans le cas d’approbation d’une nouvelle loi, Fabian Ilg, directeur de la Prévention suisse de la criminalité, estime que «les chiffres de la statistique policière de la criminalité devraient augmenter, du moins à court terme.»
Un vrai calvaire
«Oui, si une ligne du Code pénal décrivait clairement ce que je vis, cela m’encouragerait à déposer une plainte», confirme Amélie*. Contrairement à Céline, cette dernière connaissait très bien son harceleur, «un élément qui rend la situation encore plus perverse», juge-t-elle. Dans son cas, le stalking faisait partie du schéma relationnel du couple qu’elle formait avec le stalker.
«Déjà quand nous étions ensemble, il exerçait un très fort contrôle sur moi, mes relations, mes activités… Malheureusement, la rupture n’a pas mis fin au cycle de violence, mais l’a exacerbé, livre la Vaudoise. Je l’ai bloqué et lui ai demandé à plusieurs reprises de me laisser tranquille, mais j’ai fini par rétablir le contact. De cette manière, je pouvais au moins anticiper comment il allait agir, dans quel état il était…»
Sans nouvelles de son ex depuis à présent deux mois, la jeune femme n’en a pourtant pas terminé avec le calvaire. «Je suis suivie par une psy, je souffre très clairement d’un syndrome post-traumatique. J’ai peur lorsque je marche dans la rue, lorsque je croise un homme qui lui ressemble, lorsque j’entends du bruit devant ma porte, … Comme il est revenu à la charge tellement souvent, j’attends en quelque sorte la prochaine fois…», souffle-t-elle. LA LIBERTÉ
«Vivre dans la peur»
Que pensez-vous de la volonté d’inscrire le stalking dans le Code pénal?
Stéphanie Buri: Je salue cette initiative. En comparaison avec les autres pays d’Europe et d’ailleurs, la Suisse a plusieurs décennies de retard pour protéger les victimes. Le Conseil fédéral refusait d’entrer en matière depuis de nombreuses années mais c’est effectivement le moment d’encadrer le stalking. Un énoncé légal clair aura un effet préventif. D’une part, cela aiderait les victimes à se reconnaître comme telles, à ne pas rester dans la peur ou la honte mais à réagir. D’autre part, cela pourrait aussi avoir un effet dissuasif sur les harceleurs et harceleuses, en leur faisant comprendre que ce qu’ils font, volontairement ou non, est illégal et punissable.
Quelles sont les conséquences du stalking sur celles et ceux qui en sont victimes?
Les conséquences sont nombreuses. La première chose, c’est la peur qui est générée, l’impression de ne pas être seul, se demander si on est suivi, ce que l’on va trouver dans sa boîte e-mail, sur le chemin du travail… Les victimes n’osent parfois plus sortir de chez elles, sans toutefois se sentir en sécurité à la maison non plus.
Vivre dans la peur de façon quotidienne et prolongée affecte directement la qualité de vie des gens, cause des dépressions, des syndromes de stress post-traumatique, et tout un tas de symptômes physiques comme des insomnies, ou encore des palpitations. Les victimes perdent confiance en l’autre et en soi, en arrivent à changer de travail, à déménager voire à changer d’identité.
Que faire si l’on est victime de stalking?
S’il est encore temps, il est toujours important de poser des limites claires avec la personne qui harcèle. En plus de cela, il faut recueillir tous les éléments qui pourraient servir de preuves et ne pas rester seul. Il faut informer son entourage et aller chercher de l’aide auprès des professionnels, du centre LAVI le plus proche ou des autorités et de la police. Parfois, il suffit que la police s’en mêle et remette le harceleur à l’ordre. Parfois, la police ne peut pas aller plus loin car les limites sont encore floues… Une nouvelle loi leur donnerait probablement des moyens supplémentaires. SGD/LA LIBERTÉ
*Prénom d’emprunt