«Petites mains»: le diable se cache dans les détails
La jeune Eva (Lucie Charles-Albert) est envoyée par son entreprise de nettoyage sous-traitante au palace parisien Astor Palace pour remplacer une femme de ménage en grève. Elle est prise en charge bon gré mal gré par une ancienne, Simone (Corinne Masiero) qui, elle, est une «interne», salariée directement par l’hôtel, ce qui lui donne accès à des petits privilèges auxquels les «externes», employées par la sous-traitance, n’ont pas droit. Certaines des travailleuses sont en grève contre ce système, qui vise à les diviser, à diminuer les salaires et à dégrader les conditions de travail. Simone refuse de se solidariser avec les grévistes et cache des problèmes de dos de plus en plus graves pour garder son travail.
Petites mains1>Petites mains (2024), un film réalisé par Nessim Chikhaoui, coécrit avec Hélène Fillières, avec Corinne Masiero, Lucie Charles-Albert, Marie-Sohna Condé, Maïmouna Gueye, Salimata Kamaté, Mariama Gueye. raconte d’une part le travail du ménage et les relations de travail dans un grand hôtel, mais dans ce registre-là A plein temps d’Eric Gravel (2021), avec Laure Calamy, était mieux documenté. D’autre part, le film raconte la grève d’une façon si anecdotique qu’on a du mal à prendre la mesure des épreuves que les grévistes ont eues à traverser. Safiatou (Marie-Sohna Condé), Aissata (Maïmouna Gueye), Violette (Salimata Kamaté) sont les femmes de ménage noires, seconds rôles pittoresques qui donnent de l’épaisseur à l’histoire. Agnès (Mariama Gueye), la gouvernante, noire elle aussi, défend les intérêts de la direction, avec de plus en plus de difficultés.
Nessim Chikhaoui, le réalisateur, a déclaré: «Les femmes de ménage noires sont les petites mains des grands hôtels, tout comme les actrices noires sont, à l’heure actuelle, les petites mains du cinéma, du moins en France.» Malheureusement son film confirme cette réalité peu reluisante, puisque les deux rôles principaux sont tenus par des actrices blanches, Corinne Masiero et Lucie Charles-Albert. Au début du film, la jeune actrice qui incarne Eva évoque des origines martiniquaises devant les «anciennes», des femmes de ménage noires; mais son physique est aussi «blanc» que celui d’Adèle Exarchopoulos à qui la presse l’a comparée…
Les intentions du film sont évidemment louables: il s’agit d’évoquer la grève des femmes de ménage du palace parisien Paik Hyatt Vendôme en 2018 qui a abouti au bout de 87 jours à un accord favorable aux grévistes. Mais les leaders étaient les femmes de ménage noires, et on aurait bien aimé qu’elles soient aussi les rôles principaux du film qui relate leur lutte… Apparemment, le cinéma français n’est pas encore prêt à rendre compte de la réalité sociale dans sa véritable diversité.
Par ailleurs, le film souffre d’un autre défaut récurrent du cinéma hexagonal: le scénario est mal écrit. Eva, le personnage principal, manque de cohérence, on ne comprend pas pourquoi elle se joint à la grève, on lui invente même un flirt avec un employé de l’hôtel, péripétie traitée de façon indigente. Quant à Simone qui a été contrainte de prendre sa retraite après que le médecin du travail l’a déclarée «inapte», on la retrouve suivant un cours de claquettes (!) et courtisée par le professeur: double invraisemblance compte tenu du vieillissement que le film lui fait subir et de l’incapacité physique du personnage.
Les difficultés spécifiques que rencontrent ces femmes, pour la plupart étrangères en butte aux tracasseries administratives et qui sont aussi des mères de famille – ce qui les rend doublement vulnérables–, sont à peine évoquées à travers le personnage de Safiatou. Enfin, après que les grévistes ont obtenu l’ouverture de négociations, le film se termine sur la décision d’Eva, suggérée par Simone, d’arrêter ce travail pénible pour reprendre des études. On n’en saura pas plus.
On rêve du film qu’aurait pu écrire et réaliser un Ken Loach sur ce sujet…
Notes
Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net