Édito

Les damné·es de la cité

Les damné·es de la Cité
Le processus pour obtenir un passeport suisse est l’un des plus ardus au monde. KEYSTONE
Vote des étrangers

On dit qu’à Athènes et à Rome, au cinquième siècle avant notre ère, les esclaves étaient partout et nulle part à la fois. Partout, car composant près de la moitié de la population. Nulle part, car considéré·es comme des biens meubles, et donc dénué·es de tous droits politiques. Soustraction faite des coups de fouets, la situation n’est aujourd’hui guère différente à Genève pour les résident·es étranger·es. Ils et elles représentent 40% de la population du canton, sont souvent chargé·es d’exécuter les tâches les plus exigeantes, mais ne disposent ni du droit de vote à l’échelle cantonale ni du droit d’éligibilité à des fonctions politiques. «Ils n’ont qu’à se naturaliser», rétorque la droite, se gardant bien de dire que le processus pour obtenir un passeport suisse est l’un des plus ardus au monde.

En réalité, cette mauvaise foi masque à peine la volonté du bloc bourgeois d’étouffer la voix des personnes qui subissent le plus violemment ses politiques. Ferrailleurs, maçons, soignant·es: il est largement admis qu’aujourd’hui, au sein de professions les plus dures – et surtout les moins reconnues –, les Suisses se comptent sur les doigts d’une main. Pourtant, ces métiers sont les piliers de notre société, exercés par autant de damné·es de la cité à qui l’on fait comprendre qu’ils et elles ne sont que des citoyen·nes de seconde zone, bon·nes à travailler, à payer l’impôt et à se taire. Paroxysme du mépris institutionnalisé.

Sachant pertinemment que leur argumentaire contre l’initiative «Une vie, une voix» ne tient pas la route, les partis de droite font profils bas. La seule stratégie politique aura été de faire rompre la collégialité aux trois conseillères d’Etat minoritaires sur la question. Mais faute d’arguments là aussi, les magistrates libérales et centriste ont donné dans le faux-fuyant. Que l’on résumera ainsi: «Vu qu’aucun autre canton en Suisse n’offre de tels droits politiques aux résidents étrangers, il serait une erreur que Genève le fasse.» Au-delà du fait que certains cantons romands offrent déjà la possibilité aux personnes étrangères de voter, une telle apathie n’est pas digne de membres d’un exécutif, qui devraient faire preuve de perspicacité politique, et surtout préserver les principes de base de la démocratie représentative. Un terme qui, si l’initiative est refusée le 9 juin, restera inadéquat pour qualifier notre canton.

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