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«De la mer au Jourdain», un slogan démocratique et inclusif

Brandies dans les mobilisations étudiantes en solidarité avec Gaza, les banderoles «De la mer au Jourdain, la Palestine sera libre» font l’objet de dénonciations au motif d’antisémitisme. Une criminalisation bâtie sur des confusions sciemment entretenues autour du slogan, dans le but de réprimer le mouvement de solidarité avec la Palestine, explique Joseph Daher. Point de vue.
Proche-Orient

Le slogan «De la mer au Jourdain, la Palestine sera libre» 1>Et ses variantes «De la rivière à la mer…», «Du fleuve à la mer…» a été largement dénoncé par les directions d’universités lors des occupations étudiantes en soutien à Gaza ainsi que par la grande majorité des milieux politico-médiatiques, qui, en Suisse et ailleurs, y voient une dérive antisémite. Le slogan a même été criminalisé par certains pays – dont l’Allemagne, où sa reprise peut valoir jusqu’à trois ans de prison.

Occupation à l’université de Genève le 7 mai 2024. JPDS

Les allégations d’antisémitisme reposent sur une interprétation du slogan qui aurait la volonté «d’éradiquer les juifs d’Israël», comme diffusée par la propagande du régime israélien. Elles font partie des tentatives continues de décrédibilisation du mouvement étudiant, et plus globalement des mobilisations en faveur de la cause palestinienne, par des accusations diffamatoires d’antisémitisme et de violence. Ces attaques constituent un moyen d’empêcher toute forme de débat de fond sur la question palestinienne et les violations quotidiennes du droit international perpétrées depuis plus de septante-six ans par l’Etat israélien. Visiblement, les mêmes détracteurs du slogan ne trouvent généralement rien à redire à la collaboration politique, économique ou militaire de leurs gouvernements ou institutions avec l’Etat d’Israël et ses politiques d’apartheid, de colonisation et d’occupation à l’encontre des populations palestiniennes.

Face à la propagande nauséabonde que le slogan suscite, il s’agit de le replacer dans son contexte historique. L’expression fait écho aux revendications de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans années 1960. L’OLP appelait à la libération de l’ensemble de la Palestine historique – qui, avant la résolution de l’ONU de 1947, s’étendait du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée – et revendiquait le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes (au regard de l’exode de 1948) et la fin de la domination coloniale israélienne sur l’ensemble de la Palestine. Elle plaidait pour l’édification d’un Etat laïc et démocratique assurant à tous ses citoyens (musulman·es, chrétien·nes et juif·ves) l’égalité des droits. A aucun moment, le programme et les discours des dirigeants palestiniens de l’époque ne font mention d’un projet de «jeter les juifs à la mer», comme propagé jusqu’à aujourd’hui par les contempteurs du slogan.

Un slogan qui a aussi été employé du côté israélien: la droite, l’extrême droite et les institutions étatiques l’ont utilisé pour affirmer une domination israélienne exclusive sur la Palestine historique, sans mention des Palestinien·nes et des droits qui pourraient leur être accordés. Ainsi, la charte historique de 1977 du Likoud (parti de l’actuel premier ministre, Benyamin Netanyahou) dit par exemple: «Entre la mer et le Jourdain, il n’y aura que la souveraineté israélienne.»

Contrairement à cette version israélienne du slogan, l’emploi de l’expression «De la mer au Jourdain, la Palestine sera libre» promeut, pour la très grande majorité des soutiens de la cause palestinienne, une solution démocratique et inclusive. L’alternative qu’elle propose à la situation actuelle, caractérisée par une domination totale de l’Etat d’Israël sur la Palestine historique et les Palestinien·nes, suggère le démantèlement des structures et institutions israéliennes coloniales, d’apartheid et d’occupation, qui n’ont apporté que souffrances à la population palestinienne et n’ont jamais permis à la population juive d’Israël de vivre en sécurité. De même, le slogan défend le principe du droit au retour aux réfugié·es palestinien·nes déplacé·es de force en 1948, en 1967 et après. Surtout, à travers lui, c’est l’idée d’un Etat démocratique et laïc, dans lequel populations juives et palestiniennes vivent ensemble sans aucune forme de discrimination ou de subordination.

Face au modèle étatique israélien de domination exclusive et d’oppression d’une population par une autre, luttons pour une solution progressiste et inclusive, visant à démocratiser l’ensemble de la Palestine historique de la Méditerranée au Jourdain, à accorder et garantir à tout·e habitant·e de cette région des droits politiques, sociaux et économiques, et à permettre le retour des personnes réfugiées.

Notes[+]

Joseph Daher est chercheur et enseignant à l’université de Lausanne.

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