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Réponse paysanne à Avenir Suisse

Paul Sautebin réagit à une récente affirmation de Patrick Dümmler, économiste du cercle de réflexion libéral Avenir Suisse, selon lequel la situation des agriculteurs en Suisse serait meilleure que ce qu’ils affirment.
Agriculture

Il n’y a aucun doute qu’Avenir Suisse, chantre du libéralisme national, «se porte bien»1>Une allusion aux propos de Patrick Dümmler dans la presse alémanique (Tamedia): «De nombreux paysans se portent bien» (ATS du 16 mars 2024), ndlr.. Contrairement aux paysannes et paysans, d’autant que le think tank de l’oligarchie économique suisse contribue activement à maintenir la politique agricole sur la tête. La croissance de cette classe privilégiée s’est accrue proportionnellement à l’effondrement de l’agriculture du pays. Eux ne connaissent pas les souffrances qu’exerce sur les paysan·nes la politique d’étranglement à laquelle ils et elles sont soumis: produire toujours plus, sous la contrainte de normes et d’une bureaucratie croissantes; leurs lunettes en or ne perçoivent le monde qu’en termes comptables. Loin de la réalité, ils ignorent même que le burnout contamine aussi leurs bureaux: ils se complaisent à voir la partie des paysans qui «se portent bien», l’autre n’existant plus dans leurs bilans.

Ils ne proposent rien de plus qu’un démantèlement de l’agriculture du pays: à terme, il s’agit de réduire l’agriculture à quelques milliers d’«entreprises agricoles» sur le Plateau, couper les subventions, bannir l’agriculture familiale, ouvrir les frontières, capitaliser les exploitations, etc. En précisant que «ces améliorations devraient plutôt résulter du marché qui par des prix bas, pousserait à moins produire et donc à diminuer le caractère d’intensité de la production»2>www.avenir-suisse.ch/fr/publication/liberte-pour-les-agriculteurs/ (résumé en pdf, p. 31).. Un ensemble de perspectives qui figurent déjà dans la future politique agricole PA30+ concoctée par le Conseil fédérale.

Nos oligarchies économico-politiques n’ont pas pris la mesure de la «colère tractée» en Suisse et en Europe. Rien n’ira plus comme avant! Même les producteurs les plus zélés sont dans la rue pour dire que ce régime est à bout et les met à bout. Si cette colère paysanne a rencontré en Suisse une large adhésion de la population, est-ce parce que cette dernière craint de voir l’identité du pays – les vaches de ses montagnes  – s’effacer avec ses paysans et ses paysannes? Il s’agit là d’une tangibilité que le libéralisme comptable a cru supplanter par la victoire du consumérisme –  cette même conception qui fait que Migros réussit à traiter les paysans de «guignols»?

Cette agriculture entrepreneuriale du gigantisme, de la tech et du numérique, dépendante du marché mondialisé qui lamine notre agriculture et l’environnement, n’assure pas la sécurité alimentaire du pays ni l’avenir de la paysannerie, qui se voit implicitement contesté. Qu’on l’entende: la politique agricole doit être remise sur pied dans ses fondements démocratiques.

Notes[+]

Paul Sautebin est ancien président d’Uniterre, Sonvilier, Jura bernois.

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