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Défendre la qualité et l’accessibilité des soins

En renforçant le pouvoir des caisses-maladie, la réforme qui vise l’uniformisation du financement des soins (EFAS) entraînera une baisse de la qualité des soins, la péjoration des conditions du personnel soignant et une hausse des primes, met en garde Emmanuel Deonna. L’ancien élu socialiste genevois invite à signer le référendum du Syndicat des services publics pour combattre ce projet.
Assurance maladie

La Suisse est le pays de l’OCDE dans lequel la part des dépenses de santé à la charge des ménages privés est la plus élevée. Tel est le résultat d’une étude récente de l’Institut de recherches conjoncturelles de l’EPFZ, citée par le Syndicat des services publics (SSP) (numéro du 8 mars 2024, pp. 10 et 11). Avec la révision votée en décembre dernier au parlement – après quatorze ans de débats – de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal), cette tendance risque de s’aggraver. La droite et les assureurs ont en effet remporté avec cette loi une bataille importante.

Connue sous le sigle EFAS, ou «financement uniforme des prestations ambulatoires et hospitalières», la révision modifie en profondeur notre système de financement des soins. Pour rappel, contrairement aux assurances sociales, les cotisations selon la LAMal ne prennent pas en compte le revenu. C’est la logique de la «prime par tête» qui prévaut.1>Nous voterons cependant le 9 juin sur une initiative socialiste en faveur du plafonnement des primes-maladie à 10% des revenus des ménages. Le projet EFAS, qui augmente le contrôle qu’exercent les caisses-maladie sur le financement de la santé, est jugé dangereux pour la qualité des soins et les conditions de travail des soignant·es. C’est pourquoi le SSP a lancé un référendum pour le combattre. La réforme porte aussi préjudice aux citoyen·nes, qui seront victimes d’augmentations constantes des primes décidées par des assureurs échappant au contrôle démocratique. Le Parti socialiste et des associations comme l’AVIVO (défense des retraité·es) et le Mouvement populaire des familles se mobilisent aussi contre ce projet. D’après eux, la réforme péjorera également l’accès aux soins, en particulier ceux de longue durée et aux aîné·es.

Actuellement, le financement des soins de santé par les cantons est focalisé sur les hôpitaux, avec une prise en charge à hauteur de 55% des frais d’hospitalisation. Pour les EMS et les soins à domicile, les cantons contribuent également aux frais, mais leur participation varie beaucoup d’un canton à l’autre. Le secteur ambulatoire (ambulatoire à l’hôpital, médecins de ville, spécialistes, laboratoires), en revanche, n’est pas financé par les cantons. EFAS change la donne en introduisant une nouvelle clé de répartition du financement des soins. Or, la réforme met entre les mains des assureurs l’essentiel du financement du système de santé. Avec EFAS, les caisses-maladie devront en effet financer 73,1% des dépenses de santé, les 26,9% restants revenant à la charge des cantons. Ce changement permettra aux cantons de réduire leur participation pour les soins d’hospitalisation et de longue durée (EMS et soins à domicile).

Le très influent lobby des assureurs a ainsi convaincu une majorité d’élu·es d’adopter la loi. Les caisses-maladie se distinguent par leur opacité, leurs frais de fonctionnement élevés, leurs réserves gigantesques et leurs publicités onéreuses. Elles font passer leurs intérêts financiers avant toute autre considération. Elles plaident en effet pour des systèmes dits «économiques» dans la LAMal, tout en recherchant des clients pour leurs lucratives assurances complémentaires. Cette révision permettra de facto aux cantons de limiter leur financement aux soins de longue durée à un maximum de 26,9%.

Par contre, la facture s’alourdira pour les résident·es d’EMS qui devront participer à hauteur de 23 francs par jour aux frais de séjour. Les femmes ayant accouché en ambulatoire seront aussi concernées pour les soins en post-partum (sage-femme à domicile). Dans l’incapacité de s’acquitter de ces montants, nombre de personnes seront contraintes de solliciter les prestations complémentaires. De leur côté, les caisses-maladie feront pression pour limiter les soins de longue durée au strict minimum.

L’épidémie de Covid-19 a mis en évidence une déplorable non-reconnaissance sociale des métiers des soins. Le nombre de minutes à disposition des soignant·es pour les soins aux résident·es des EMS et pour les patient·es soigné·es à domicile est limité. Le personnel de santé se plaint à juste titre depuis des années de ce minutage qui menace la cohésion sociale et bafoue la dignité humaine. De nouvelles configurations organisationnelles et managériales dans le secteur de la santé sont indispensables. La réforme EFAS en retardera à coup sûr l’émergence. Pour toutes ces raisons, il faut
soutenir le référendum.

Notes[+]

Emmanuel Deonna est ancien député et ancien conseiller municipal PS, Genève.
Signer le référendum: stop-efas.ch/fr/

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