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«D’abord un financement social, puis une juste maîtrise des coûts»

Les primes augmentent parce que les coûts explosent, cela fait des années qu’on leurre les gens avec ce mantra. Une logique qui fait le beurre de l’industrie pharmaceutique et du lobby des assurances au détriment des assuré·es et du personnel des soins, selon l’Union syndicale suisse.
Assurance maladie

Les primes d’assurance-maladie augmentent chaque année au rythme des dépenses de l’assurance de base. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est-à-dire si l’augmentation des primes d’une année ne couvre pas a posteriori la hausse des coûts, les primes augmenteront d’autant plus fortement l’année suivante. C’est ce qui se passe pour les primes 2023. Hausse des coûts = hausse des primes: un peu partout en Suisse, cette équation est assénée comme une loi de la nature. Or il n’en est rien. Il s’agit d’une conséquence de notre législation, qui a certes défini une assurance sociale avec la loi sur l’assurance-maladie (LAMal), mais a conçu son financement de manière antisociale.

Alors que dans presque tous les pays occidentaux de l’OCDE, l’assurance-maladie est financée à environ 80% par des contributions liées au revenu (impôts ou cotisations salariales), cette part n’atteint que quelque 30% en Suisse. L’essentiel des dépenses est financé par les primes, donc par un impôt par tête. La Suisse est un pays riche: elle peut s’offrir une excellente couverture en matière de santé, et c’est heureux. Comme sa population connaît un vieillissement prononcé, les dépenses liées aux polymorbidités et aux soins de longue durée augmentent, ce qui est tout à fait normal. A eux seuls, ces deux facteurs entraînent chaque année une hausse substantielle des dépenses de santé dans le pays. Raison de plus pour comprendre que la charge des primes des assuré·es ne pourra jamais être ramenée à un niveau acceptable pour les ménages à bas et moyens revenus par la seule mise en œuvre de «mesures de maîtrise des coûts», aussi efficaces et performantes soient-elles.

Un financement social n’est possible que s’il y a des décisions politiques en ce sens. Les projets pour y parvenir sont aujourd’hui sur la table: le Conseil national a ainsi adopté un contre-projet à l’initiative du Parti socialiste et de l’USS sur l’allègement des primes-maladie (2,2 milliards de francs supplémentaires pour les réductions de primes). Il a aussi transmis une motion qui prévoit une mesure d’urgence allouant 900 millions de plus aux réductions de primes pour l’année à venir. Au tour maintenant du Conseil des Etats d’adopter ces projets le plus rapidement possible – ce serait la moindre des choses. Les réductions de primes ne sont pas une aumône de l’Etat. Il s’agit de moyens pour la santé publique financés en fonction du revenu, comme c’est le cas partout ailleurs en Europe.

Comme les réductions de primes ne sont que partiellement financées par la Confédération, les cantons doivent aussi faire en sorte, dans leurs budgets 2023, que les dépenses pour les réductions de primes augmentent de manière substantielle (la plupart des cantons les ont drastiquement réduites pendant des années). Faute de quoi, c’est comme s’ils décidaient d’une hausse d’impôts de facto pour les revenus bas et moyens.

Une fois cette avancée minimale vers un financement plus social de l’assurance de base décidée par la Confédération et les cantons – rien ne s’y oppose aujourd’hui – on devra reparler de la maîtrise des coûts. Et notamment des bénéfices réalisés au détriment de l’assurance de base, bien que cela soit explicitement interdit par la loi: des hôpitaux privés s’enrichissent grâce à des interventions sélectives dans le cadre de forfaits par cas lucratifs, et les assurances complémentaires en profitent; des groupes pharmaceutiques bloquent les génériques et mettent sur le marché de nouveaux médicaments pour lesquels ils imposent des prix à cinq ou six chiffres, au détriment de l’assurance de base; enfin, les caisses d’assurance maladie laissent passer une masse de factures coûteuses au lieu d’unir leurs forces et d’investir dans la prévention et les soins coordonnés. C’est de ces sujets que nous devrions parler. Et non de l’introduction d’une taxe d’urgence ou de la hausse des franchises.

Reste un autre chantier: l’amélioration de la qualité et des conditions de travail dans les soins. Dans ce domaine, des décisions ont été prises depuis un moment: en novembre 2021, la population a massivement voté en faveur de l’initiative sur les soins infirmiers. Depuis, rien ne bouge, sauf peut-être la situation dans les hôpitaux et les homes qui s’est encore dégradée. Actuellement, plus de 300 soignant·es quittent chaque mois la profession. Alors que le personnel soignant aurait dû pouvoir souffler un peu après la pandémie, on continue de déverser plus de travail sur moins de personnes, ce qui aggrave la situation en matière de soins.

L’initiative sur les soins infirmiers doit être mise en œuvre rapidement. A commencer par les cinq mesures immédiates1>www.sbk.ch/fr/news-single/exode-dans-les-soins-stopper-les-abandons-de-la-profession-cinq-mesures-durgence-a-mettre-en-oeuvre demandées par les organisations de personnel soignant. Sinon, le système de santé suisse sera certes toujours le plus cher d’Europe, mais ne pourra plus être le meilleur. En plus du personnel soignant, ce sont bientôt aussi les patient·es qui en feront les frais.

Notes[+]

* Secrétaire central de l’USS.

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