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Le difficile accompagnement des enfants «atypiques»

À votre santé!

J’ai été interpellé récemment par une famille de ma région ne sachant plus «à quel saint se vouer» devant les messages totalement discordants émanant des différent·es professionnel·les entré·es en relation avec leur enfant.

En reprenant l’histoire de cette petite fille de 6 ans, on apprend qu’elle est enfant unique et que, depuis toute petite, elle a montré des signes d’agitation et d’«intranquillité», que ses parents considéraient comme normaux malgré les remarques – pas toujours bienveillantes – de l’entourage. A la crèche, où elle allait une fois par semaine, cela ne se passait pas toujours bien et elle demandait une attention soutenue, surtout dans la relation au groupe, où la situation pouvait déraper, entraînant des crises ou des conflits importants.

Cela ne l’a pas empêchée de se développer globalement bien et personne n’a douté qu’elle pouvait commencer l’école sans appui particulier. C’est là que la situation est devenue plus difficile, où sa capacité d’attention et de suivi des consignes de groupe s’est montrée très déficitaire. La fillette ne bénéficiait pas du tout de ces temps scolaires et perturbait le cours normal des activités proposées. L’enseignante, épaulée par sa direction, en a discuté avec les parents, en expliquant son désarroi et son souhait de pouvoir éventuellement solliciter un soutien en classe en s’appuyant sur un diagnostic établi au moyen d’une évaluation médicale et psychologique.

A cet effet, l’enfant a été vue quelques mois plus tard par une psychologue. Au bout de plusieurs séances, les conclusions ont démontré de bonnes compétences intellectuelles, l’absence de critères de trouble de l’attention en tant que tel, mais une difficulté à gérer les émotions venant perturber l’exécution de certaines tâches, ainsi qu’une anxiété, déjà très présente dans une relation duale et encore plus marquée lorsqu’un élément extérieur se produisait durant l’épreuve. La psychologue a alors orienté les parents vers leur pédiatre en vue d’une poursuite des investigations et d’une éventuelle prise en charge médicale qu’elle-même jugeait nécessaire. Le pédiatre en question, qui connaît l’enfant depuis sa naissance, a déclaré après examen qu’elle se développait très bien et n’avait pas besoin de suivi. Quand la mère a expliqué les difficultés rencontrées par la fillette dans sa vie quotidienne, le médecin lui a répondu qu’il fallait lui donner du temps pour qu’elle parvienne à mieux se socialiser.

Les parents se retrouvent alors face à un dilemme. Que faire maintenant? Et qui croire, quand le médecin de confiance dit que tout est normal (ce que chaque parent a envie d’entendre)? Est-ce donc à l’école de s’adapter à mon enfant? Est-ce que je dois changer mon mode éducatif? Ou suffit-il d’attendre pour que tout rentre dans l’ordre? Voilà quelques-unes de leurs questions.

Il n’y a pas de réponse simple à ces questionnements, encore moins sans avoir rencontré la petite fille. Et je me garderai de livrer un diagnostic en l’espèce. La situation telle que décrite suscite néanmoins en moi un certain nombre de réflexions. La première serait que tout laisse à croire que cette fillette (et sa famille) est en souffrance et qu’à ce titre elle mérite qu’on propose des pistes de soutien. D’autant que les difficultés de l’enfant, si elles semblent se manifester principalement à l’école, parasitent aussi sa vie extrascolaire, et qu’elles existent finalement «depuis toujours».

Dans ce sens, il paraîtrait prudent d’exclure un trouble neurodéveloppemental – que l’on englobe aussi souvent sous le terme de neuro-atypie – puisque différents signes d’alerte sont clairement présents. Et attendre, dans ces situations-là, c’est péjorer les possibilités d’une bonne intégration sociale et d’un apprentissage scolaire harmonieux. Peut-être le pédiatre a-t-il raison, mais je sais trop bien que l’on peut avoir une vision tronquée de la réalité de vie de nos patient·es dans une consultation médicale au cabinet.

L’autre réflexion touche à la prise en charge scolaire: je comprends le désarroi de la maîtresse, validé par sa hiérarchie, qui retrouve jour après jour une enfant ne réussissant pas, après dix-huit mois d’école, à en assimiler les bases et qui, peu avant l’entrée dans les apprentissages plus formels que sont la lecture, l’écriture et les mathématiques, aimerait davantage l’aider. Le constat établi par la psychologue est clair, mais sans diagnostic médical, des aides ne peuvent être débloquées. Quand on sait – et ce cas l’illustre bien – les difficultés à obtenir des diagnostics et les délais d’attente chez les différents thérapeutes en charge des évaluations, ne pourrait-on pas proposer des soutiens et des évaluations pédagogiques «d’urgence», que l’on adapterait par la suite?

Ceci dit, j’ai insisté auprès de cette famille pour qu’elle suscite une réunion avec tout·tes les professionnel·les impliqué·es afin qu’ils et elles échangent et s’écoutent, afin de proposer une attitude commune et cohérente. Le regard croisé sur un enfant est sûrement la meilleure manière de mieux comprendre ses forces et ses faiblesses et d’aider les familles.

* Pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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