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Le PLR, le DIP et la gestion du changement…

«Vouloir imposer deux heures d’enseignement supplémentaires, c’est placer la charrue avant les bœufs.» Ancien directeur de cycle d’orientation, Philippe Rouget estime que la hausse des heures au CO, projetée unilatéralement par le Département de l’instruction publique (DIP) et massivement contestée par les enseignant·es, passe à côté du but.
Ecole genevoise

Toute entreprise, toute organisation est appelée à évoluer pour remplir sa mission de manière efficace. L’école n’y fait pas exception et les enseignant·es, tout comme les directions d’établissement, en sont les premiers conscients.

C’est pour cette raison que les réformes se sont succédé au Cycle d’orientation (CO). Comme nous le craignions à l’époque, la dernière en date doit malheureusement être considérée comme un échec: en effet, les moyens supplémentaires alloués n’ont pas permis de contribuer à une plus grande égalité des chances1>Cf. le rapport «Les effets de la réforme du cycle d’orientation», SRED, 2019, www.ge.ch/document/effets-reforme-du-cycle-orientation-
parcours-formation-eleves.
. Au lieu de répondre à l’une des finalités essentielles de la Loi sur l’instruction publique (LIP) – «tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves…», art. 10 al. f –, la structure mise en place a, au contraire, renforcé la sélection.

Après le vote négatif (à 50,8%) du peuple genevois lors de la votation sur le projet CO22 en mai 2022, tous les milieux, tant à gauche qu’à droite, reconnaissent la nécessité de réformer le CO. Mais sera-t-il possible de dépasser les clivages idéologiques? Les politiques seront-ils capables d’entendre ce que les sciences de l’éducation peuvent nous apporter sur les qualités et les défauts des différents modèles expérimentés en Europe?

Revenons cependant à l’actualité immédiate. Les enseignant·es, qui sont chaque jour sur le terrain, sont bien placée·s pour évaluer dans quels domaines des améliorations pourraient être apportées. Leurs constats, leurs avis doivent être entendus… mais avant que l’autorité ne prenne ses décisions. Je ne suis pas sûr que les enseignant·es soient opposé·es à une plus grande présence devant les élèves. Ils et elles se plaignent en effet souvent d’une accumulation des charges administratives et verraient sans doute d’un bon œil un allègement de celles-ci. A condition que les tâches supprimées soient clairement définies à l’issue d’une véritable concertation.

Les principes de management ont bien évolué: on sait aujourd’hui que les changements imposés d’en haut sont voués à un échec plus ou moins grave. Mais le PLR et ses alliés semblent ignorer ce que la plupart des dirigeants d’entreprise reconnaissent (c’est un comble!): une réforme se construit avec les collaborateurs et les collaboratrices et non contre eux. Les chances de réussite d’un projet sont d’autant plus grandes que les principaux concernés sont partie prenante du processus. Cela paraît une évidence, pourtant la conseillère d’Etat chargée du Département de l’instruction publique (DIP), fer de lance de son parti, a procédé à l’inverse: en cherchant à imposer une décision sans discussion préalable, elle ignore (délibérément?) la culture de concertation qui règne au DIP depuis sa création par André Chavanne il y a soixante ans. Cela ressemble malheureusement un peu trop à un règlement de comptes politique et peut-être à une crainte d’aller au-devant des professionnel·les.

Vouloir imposer deux heures d’enseignement supplémentaires, c’est placer la charrue avant les bœufs. L’enjeu principal est ailleurs: il s’agit de redéfinir la mission et les moyens alloués à l’école pour lui permettre de répondre aux enjeux de société. Et ce n’est que dans le dialogue et la concertation qu’il sera possible d’élaborer un projet d’école cohérent.

La conseillère d’Etat chargée du DIP a donc proposé un certain nombre de rencontres avec les représentants des associations d’enseignant·es. Espérons que ce geste n’a pas pour unique but de calmer temporairement le jeu, mais qu’il exprime une véritable volonté de dialogue. Les prochaines semaines nous l’apprendront.

Nos enfants (tous nos enfants) ont besoin d’une attention particulière. Les enjeux sont importants: dans une société en pleine mutation, l’école doit pouvoir assurer sa mission sur la base d’un large consensus qui ne peut se construire que dans un échange constructif. Au-delà des querelles politiques!

Notes[+]

Philippe Rouget est un ancien enseignant et un ancien directeur de cycle d’orientation, Genève.

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