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Que voulons-nous?

Selena Ribeaux raconte ce qu’est devenu le village de Riace.
Témoignage

Victime d’une agression routière à Genève et suite au choc post-traumatique ne pouvant plus rester dans cette ville, je me suis exilée à Riace, petit village de Calabre.

Ce village connut son heure de gloire sous la magistrature de Domenico Lucano. Ce maire en avait fait un lieu d’accueil, lui redonnant ainsi vie et dignité. L’école fonctionnait, les cafés et les épiceries renouaient avec les bénéfices, les rues s’animaient, les maisons vides retrouvaient leur raison d’être.

En 2018, tout s’est arrêté. Sous le ministère de Matteo Salvini, D. Lucano fut poursuivi pour divers motifs injustes et abscons. Acquitté en 2021, D. Lucano est revenu à Riace mais très atteint ainsi que sa famille, il hésite à se présenter aux prochaines élections.

Aujourd’hui, le village agonise. Les rues sont vides, les maisons abandonnées et délabrées, l’école une épave, les quelques habitants restant découragés. Tout ce qui avait été mis en place a été sabordé par l’extrême-droite. Alessio, le cafetier, Cosimo, l’épicier, partiraient si l’occasion se présentaient. Ils travaillent à perte. Ils aiment pourtant leur village natal qu’ils n’ont jamais quitté.

Car Riace est un lieu sublime. Mais moribond comme de si nombreux villages en Italie, en Europe et même en Suisse. D. Lucano avait endigué ce fléau en pratiquant l’accueil. Chacun y trouvait son compte et l’Europe prouvait qu’avec de la volonté, elle était encore capable de respect des droits humains. Mais aujourd’hui, on est condamné quand on sauve des vies… Comme ce fut le cas à une certaine période de l’Histoire…

Refuser de laisser mourir les gens, fermer les yeux à l’horreur, élever des murs, Riace s’était refusé à le faire. Et le village y avait gagné. Et sacrément! Accueillir rend plus fort, plus riche, vivant. Ce village l’a prouvé. Depuis que les réfugiés ne peuvent plus s’y installer, Riace meurt. Les autochtones évoquent avec regret et résignation l’époque de Lucano. Ils assistent impuissants à la mort du bourg. Les jeunes doivent s’exiler dans le nord ou plus loin. Les vieux meurent. Le village se vide.

Que voulons-nous? Poursuivre sur cette route de la honte ou résister? Laisser se déserter les campagnes ou les repeupler? Accueillir, redevenir des humains dignes de ce nom ou rester complices de toutes ces morts en mer et ailleurs?

Et là, parmi les oliviers et face à la mer, je me prends à espérer naïvement et stupidement que les Palestiniens survivants puissent venir ici trouver un toit et une terre si proche de la leur. Le temps que la leur leur soit rendue. Oui, je me prends à rêver au milieu de cette nature si belle, que l’homme retrouve son sens commun et sa capacité à ouvrir les bras.

Selena Ribeaud,
Genève

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