EFAS: une avancée pour les assuré·es et les malades?
En décembre dernier, après quatorze (!) ans de débats, le «financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires» de l’assurance-maladie (EFAS) a été adopté par le Parlement fédéral nouvellement élu. Un «événement historique», selon un communiqué1>Communiqué du 22.12.2023, www.pro-efas.ch/fr/ signé par une alliance de 22 groupes de pression, dont les faîtières des médecins (FMH), des hôpitaux (H+), des firmes pharmaceutiques (Interpharma), un grand groupe d’assureurs (Curafutura) et le lobby patronal Economiesuisse. Ladite coalition présente le projet comme «l’une des réformes les plus importantes de notre système de santé». Un sujet hautement technique, dont la portée peut paraître a priori difficile à cerner pour chacun·e de nous. Tentons toutefois d’en saisir quelques enjeux.
L’idée de base de la réforme est d’avoir un même financement pour tous les soins, réparti entre les cantons, à raison de 26,9%, et les assurances – et les assuré·es –, à raison de 73,1% (ça se joue à la virgule près!), en remplacement du système actuel qui prévoit un financement différent pour l’hospitalisation, prise en charge à 55% par les cantons et 45% par les assurances et les assuré·es, et les soins ambulatoires payés à 100% par nos primes et nos franchises; ce qui induit des distorsions des coûts apparents. La réforme doit inciter les patient·es – et les médecins – à faire appel à un maximum de soins ambulatoires (en particulier pour les interventions chirurgicales) ou à écourter les soins hospitaliers, en vue de réduire la facture globale. Pourquoi pas. A priori, cela semble cohérent et il paraît plus simple d’avoir un seul système de financement.
Mais l’histoire nous révèle hélas que, très vite, c’est – et ce sera – l’obsession du coût qui va l’emporter sur la qualité et le confort du soin. La prise en charge humaine, holistique, tenant compte de la situation psychosociale du patient va être plus difficile à défendre.
Sur ce plan, les patient·es n’ont rien à gagner avec l’EFAS. Et, pourtant, la Fédération suisse des patients (FSP) est particulièrement silencieuse sur le changement de financement. Et si c’est la simplicité d’un financement solidaire (qui est la base de la «mutualisation» des risques de maladie) que l’on recherchait, alors pourquoi ne pas établir des primes en fonction du revenu et confier leur gestion à une caisse commune?
Avec ce changement du financement du système de soins, les cantons vont verser quelque 10 milliards de francs (les 26,9% du coût!) aux caisses maladie, qui se chargeront de payer l’ensemble de la facture aux prestataires de soins. Cela va renforcer le pouvoir des assureurs, ceux-là mêmes qui, année après année et sans contrôle démocratique, «adaptent» nos primes d’assurance-maladie aux coûts de la santé (et parfois aussi à la valeur des pertes boursières de leurs réserves). Ceux-là mêmes qui gèrent à la fois nos primes LAMal (assurance de base obligatoire) et des primes d’assurances complémentaires commerciales. Ceux-là mêmes qui cherchent depuis longtemps à limiter le choix du médecin, et j’en passe.
De plus, cette réforme va affaiblir la position des cantons et leur marge de manœuvre dans la planification sanitaire, qui constitue un des rares instruments en mains publiques pour maîtriser les coûts de la santé. Même si, finalement, les cantons «pourront accéder» à toutes les factures originales du domaine hospitalier, y compris l’ambulatoire – concession ultime obtenue avant le vote final de décembre.
N’oublions pas que si ce sont les assurances qui paient les factures, les patient·es devront payer de leur poche en plus de leur franchise et de leur quote-part, la contribution aux coûts spécifiques aux prestations de soins fixée à 23 francs par jour. Cette contribution spécifique concerne les patient·es qui bénéficient de soins à domicile ou donnés dans les EMS, ainsi que les mères qui accouchent à la maison ou en ambulatoire. Actuellement, certains cantons paient une partie de ces 23 francs par jour (en particulier dans les soins ambulatoires), ce qui diminue la charge reportée sur le patient. Avec ce changement de la loi, les cantons économisent ainsi 500 millions de francs au passage: c’est peut-être pour cela qu’on ne les entend pas défendre leur perte de capacité en matière de planification sanitaire.
Si le changement de loi entre en vigueur, il restera l’ultime recours, probablement cette année encore, qui serait d’accepter l’initiative populaire2>L’initiative socialiste dite «d’allègement des primes», www.sp-ps.ch/fr/initiative-dallegement-des-primes/ demandant que les primes à la charge des assuré·es s’élèvent au maximum à 10% du revenu disponible. L’allègement des primes serait alors financé aux deux tiers au moins par la Confédération, le tiers restant par les cantons.
A moins que le référendum contre l’EFAS lancé par le Syndicat des services publics (SSP) aboutisse3>Pour signer le référendum:
stop-efas.ch/fr/ et que le peuple corrige le tir. Les enjeux sont énormes, à la fois du point de vue de la santé publique et de la solidarité, mais aussi simplement pour que chacun·e puisse se faire soigner et payer des cotisations en fonction de ses moyens.
Notes