Suisse

Bonne foi et démocratie

Jean-René Moret estime que le Conseil fédéral obtient l’assentiment populaire «sans faire preuve d’une parfaite bonne foi». Au risque «d’alimenter une perte de confiance» dans les autorités.
Politique

La Suisse est fière de son système de démocratie semi-directe. Par le biais des initiatives et des référendums, le peuple peut ancrer ses désirs dans la Constitution et valider ou invalider les lois proposées par les autorités. Pour leur part, les élus sont conçus avant tout comme représentants des citoyens. Cependant, plusieurs cas récents tendent à mettre en question la bonne foi des autorités dans les promesses et gages donnés aux votants et initiants.

En 2009, le pays doit voter une initiative interdisant totalement l’exportation d’armes depuis la Suisse, à l’effroi de l’industrie d’armement. La proposition est décriée comme extrême. Le Conseil fédéral fait des pas dans le sens des initiants en adoptant des règles plus strictes sur l’exportation de matériel militaires. On explique alors aux votants que l’initiative est désormais inutile. Le peuple vote sur la base des nouvelles règles adoptées et l’initiative est largement refusée. Cinq ans plus tard, le lobby de l’armement se plaint que les règles d’exportation sont trop strictes et obtient l’assouplissement répété des limites en questions.

En réaction à cette évolution, une nouvelle initiative dite «initiative correctrice» est déposée, pour que ce soit le parlement et non plus le Conseil fédéral qui fixe les critères d’autorisation pour l’exportation d’armes. Un contre-projet indirect parlementaire est adopté, accédant à la revendication centrale de l’initiative, qui est alors retirée. Mais le 18 décembre, le Conseil national adopte une motion du Conseil des Etats en vue d’autoriser le Conseil fédéral à déroger aux règles fixées par la loi.

Autre cas, en 2020, l’initiative pour des multinationales responsables demande à ce que les entreprises basées en Suisse puissent être tenues responsables des violations de droits humains commises par elles-mêmes, leurs filiales et leurs sous-traitants à l’étranger. Le Conseil fédéral argue entre autres qu’il vaut mieux travailler en collaboration internationale que de se singulariser par plus de rigueur que nos voisins. L’initiative obtient de justesse la majorité populaire, mais manque d’obtenir la majorité des cantons nécessaire pour être adoptée. Aujourd’hui, l’Union européenne adopte des règles en la matière qui vont même plus loin que ce que demandait l’initiative en Suisse. Malgré ses belles paroles, le Conseil fédéral ne se hâte nullement de mettre à niveau la loi suisse.

Dans ces différentes volte-face, on voit les autorités parler et agir pour obtenir la décision souhaitée de la part des votants ou des initiants. Elles font mine de vouloir aller dans le sens d’une initiative ou d’une revendication, elles prétendent simplement vouloir le faire d’une autre façon, plus opportune, plus modérée. Et sitôt déliées de la menace de règles contraignante, elles oublient toutes ces bonnes intentions. D’autres schémas problématiques se présentent aussi, comme celui où des paquets regroupent mesures souhaitées et changements impopulaires en un savant équilibre destiné à passer de justesse la barre du vote populaire.

Ces procédés posent plusieurs questions. Ils donnent à penser que le peuple est vu comme un empêcheur de gouverner. Il s’agirait alors de l’amadouer pour gagner un vote, plutôt que d’en faire un partenaire respecté, s’exprimant en connaissance de cause et objet de loyauté. Une telle attitude risque fort d’alimenter une perte de confiance du peuple dans ses autorités. D’autre part, le précieux système des contre-projets est mis en danger. Si les initiants ne peuvent pas compter sur la sincérité et la durabilité des concessions obtenues, ils finiront par choisir toujours la voie du vote, sans compromis.

Jésus enseignait à ses disciples que les autorités devaient se voir comme servantes de la communauté, à l’inverse de la tendance naturelle à ce que les puissants dominent leurs subordonnés, fût-ce avec les meilleures intentions du monde. Cette vision de l’autorité comme service a eu une grande influence sur la mentalité politique suisse, ce qui nous épargne d’avoir des élus vivant dans le faste et se comportant comme des potentats. Mais si cette attitude se lézarde, si les autorités oublient leur rôle de service et ne cherchent qu’à gagner votations et élections, notre démocratie ainsi que l’harmonie entre peuple et autorités sont en danger. Que nos gouvernants prennent donc garde de chercher respectueusement la volonté populaire, de peur que la démocratie ne se vide de son sens, et que toute confiance ne la déserte.

Suisse Jean-René Moret Politique

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