Édito

Berlin droit dans ses bottes

Berlin droit dans ses bottes
En Allemagne, les appels au boycott d’Israël sont stigmatisés par une motion du Bundestag. KEYSTONE
Israël 

Samedi dans Libération, l’écrivaine palestinienne Adania Shibli s’est exprimée publiquement sur le prix qu’elle aurait dû recevoir le 20 octobre dernier à Francfort – une remise officiellement repoussée. Plein d’une douleur tangible, le texte mentionne une recension dévastatrice de la Tageszeitung (Taz) au sujet d’Un Détail mineur, l’ouvrage distingué. L’autrice basée entre Berlin et Jérusalem, docteure de l’University of East London, y raconte l’histoire d’un viol collectif et du meurtre d’une jeune fille arabe bédouine-palestinienne par des soldats israéliens en 1949.

Pour le journaliste de la Taz, le livre est antisémite car les Israéliens n’ont ni nom, ni visage. Une critique «à moitié habile», formule Adania Shibli: les autres personnages aussi, Palestiniens notamment, n’ont ni nom, ni visage, ce dont le critique ne semble pas s’être rendu compte. Une lecture à charge qui n’étonne guère, dans une Allemagne médiatico-politique se distinguant plus que jamais par son jusqu’au-boutisme pro-israélien.

Aussi, après plusieurs limogeages ou annulations d’expositions pour cause de critiques à l’Etat hébreu (notre édition du 22 novembre), formulées parfois par des artistes juif·ves, la chasse aux sorcières germanique se poursuit. Elle est cette fois ourdie par l’administration culturelle du Sénat de Berlin, qui veut conditionner l’obtention de subventions à la signature d’une clause relative à l’antisémitisme. Bonne idée, si ce n’est que le thermomètre de référence sera la définition formulée par l’Holocaust Remembrance Alliance, controversée car par trop sujette à interprétation, à laquelle l’Allemagne a adjoint un alinéa permettant d’amalgamer antisémitisme et critique d’Israël. Dans un pays qui a multiplié par au moins dix ses ventes d’armes à Tel Aviv depuis le 7 octobre et estime que l’accusation de génocide à Gaza est «dénuée de tout fondement», c’est pour le moins problématique. Rappelons aussi qu’en Allemagne, les appels au boycott d’Israël sont stigmatisés par une motion du Bundestag.

Signée par quelque 4000 artistes, une lettre ouverte publiée sur e-flux dénonce le nouveau règlement berlinois. Le texte propose la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA) comme baromètre alternatif, nettement plus précis et empêchant les instrumentalisations. En parallèle, le mouvement Strike Germany appelle depuis quelques jours à la grève des travailleurs·euses culturel·les internationaux·les dans les institutions allemandes, avec un manifeste déjà signé par plus de 1000 personnes (dont l’écrivaine Annie Ernaux, la commissaire Catherine David ou l’artiste Lawrence Abu Hamdan). On peut ironiser en tablant qu’à terme, il ne restera en Allemagne que de l’art politiquement neutre et le festival de Bayreuth, avec ses 60 000 fans de Wagner. Un compositeur pourtant largement recalé au test d’antisémitisme.

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