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Avis de tempête

À livre ouvert

Au sortir du dernier livre d’Andreas Malm1>Andreas Malm, Avis de tempête: Nature et culture dans un monde qui se réchauffe, La Fabrique, 2023., un sentiment prime; celui de la reconnaissance. Oui, nous sommes reconnaissants envers ce géographe et militant marxiste d’avoir réveillé notre appétence pour des idées et des questions dialoguant avec la réalité2>«La réalité, c’est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d’y croire.» Philip K. Dick in Bernard Lahire, Les structures fondamentales des sociétés humaines, La Découverte, 2023, p. 15. concrète. Peu d’auteurs peuvent se targuer d’un tel résultat, sans se payer de mots, en si peu de pages.

Disons qu’il faut pour cela plusieurs conditions préalables, auxquelles nous ajouterons certaines qualités. D’abord les prérequis: reconnaître avec lui le caractère cataclysmique du dérèglement climatique; admettre le rôle historique tenu par le capitalisme dans ce désastre environnemental et social; enfin assumer les conséquences de l’affirmation selon laquelle «le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle». C’est seulement en faisant nôtre cette maxime de Walter Benjamin que notre survie en tant qu’humanité sera peut-être assurée.

Les qualités ensuite: non content d’être un dialecticien hors pair capable de combattre pied à pied les idées de ses adversaires sans manquer de donner à voir les ressorts qui sous-tendent les siennes et donc de rappeler qu’elles naissent, vivent et meurent au contact d’idées adverses, Andreas Malm sait se retourner sur l’invraisemblable (mais non s’en étonner).

L’invraisemblable, c’est un monde climatiquement menacé et, comme nous l’ont montré les dernières élections, trouvant dans l’immigration «une cible bien plus commode». L’invraisemblable, c’est la myopie du politique face au temps long; ceci à l’heure où «une éternité se joue» et où limiter un dérèglement climatique de grande ampleur est encore possible. Avant bien sûr que celui-ci ne s’étende «sur une durée plus longue que toute l’histoire de la civilisation humaine». L’invraisemblable, c’est enfin un monde qui voudrait se défier de l’idée de nature alors que celle-ci commence à «rendre les coups».

Une éternité se joue, là, devant nous, et il convient selon Andreas Malm de cerner au plus près la tempête qui s’annonce ainsi que l’effet qu’a sur nous cet «avis de gros temps». En d’autres mots, il n’est plus possible de fermer les yeux sur ce qui arrive ni sur ce qui nous arrive.

Ce qui nous arrive, c’est que nous nous sommes enfin mis à penser le dérèglement climatique. De ceci bien sûr il faut se réjouir, et au diable si nous ne le faisons qu’à la dernière extrémité. On sait depuis son très remarqué Comment saboter un pipeline3>Cf. notre rubrique du 23 décembre 2020, «Nommer ses ennemis». qu’Andreas Malm assume une certaine confrontation avec les forces écocidaires. Dans ce livre-ci, le militant cède pourtant sa place au théoricien et si ce dernier est convaincu d’une chose, c’est bien que «certaines théories peuvent […] éclairer la situation tandis que d’autres risquent de la rendre plus confuse».

En écrivant ceci, Andreas Malm a en deux objectifs en tête. Tout d’abord nous ramener dans les parages d’un matérialisme longtemps considéré comme désuet. Ensuite révéler les failles béantes d’une pensée adverse devenue presque mainstream, celle de l’hybridisme, courant affirmant entre autre «qu’il est devenu impossible de distinguer la société de la nature car elles ne sont en réalité qu’une seule et même chose».

Son adversaire déclaré est même nommé: Bruno Latour. On comprend pourquoi lorsqu’on sait que ce dernier se flatta un jour d’«a[voir] brouillé pour toujours la distinction de la nature et de la société, et qu’on ne reviendra plus jamais à deux ensembles distincts». Devant tant d’arrogance on s’agace et, d’autant plus aisément, l’on suit Andreas Malm lorsqu’il rappelle la différence existant entre «ce que les humains créent de part en part et ce qui n’est pas de leur fait», entre les politiques de la firme Exxon et le pergélisol, entre les négociations des Nations unies sur le climat et le processus de la photosynthèse, entre une tonne d’émission de CO2 et les rivières volantes de l’Amazonie.

A l’approche de la tempête, en même temps que les premiers embruns, surviennent souvent de légères sautes de vent, capables, d’une simple pichenette, de nous faire perdre l’équilibre… puis de le retrouver. Tel est l’effet de ce petit livre. Rien que pour cela, il vaut la peine de le lire.

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lundi 8 janvier 2018

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