Le poids des chiffres
L’introduction du salaire minimum cantonal (Smic) à Genève n’a, globalement, pas eu d’impact sur le niveau de chômage. Le Conseil d’Etat genevois a présenté hier une étude1>Haute école de gestion, université de Genève et Institut de recherche appliquée en économie et gestion, «Impact du salaire minimum», rapport 1/4, 14 novembre 2023, 36 pages. réalisée à sa demande par l’université de Genève et la Haute école de gestion qui tombe à point nommé, à l’heure où les partis bourgeois tentent de saboter cette avancée sociale.
Le Smic genevois a été adoptée en septembre 2020 par le peuple, à la suite d’une initiative des syndicats. A l’époque, les opposants – le monde patronal et les partis de droite – avaient hurlé à la mort, prédit un nivellement par le bas des salaires et un backlash au niveau de l’emploi avec des délocalisations d’entreprises.
A l’arrivée, trois ans plus tard, globalement, il n’y a pas eu d’impact notable sur le taux de chômage si on compare Genève aux cantons ne connaissant pas de Smic. Ces conclusions sont d’ailleurs conformes à la littérature qui existe sur ces questions éminemment idéologiques et qui lient linéairement coût du travail et création d’emplois. Pourtant, «aucun emploi n’a jamais été créé par des baisses de charge [sociales] et ne le sera jamais», écrivait déjà le chercheur français Michel Husson en 2015 dans un ouvrage réactualisant des chiffres datant de 1999.2> Michel Husson, Créer des emplois en baissant les salaires? Une histoire de chiffres, Editions du Croquant, 2015
Ce dogme néolibéral, ce consensus qui se dit scientifique, vise surtout à légitimer des politiques antisociales. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer en Suisse. Comme les syndicats ont réussi à emporter le morceau dans certains cantons – Genève, Neuchâtel, Jura, Tessin et Bâle-Ville – et y ont rendu illégaux certains salaires de misère, la droite patronale attaque par en haut.
La motion dite Ettlin, du nom de son auteur, vise à faire primer les conventions collectives de travail sur d’éventuelles législations cantonales plus généreuses. Pour parler clairement, le but est de court-circuiter cette élémentaire protection des salaires. Lorsque le Conseil fédéral lancera la consultation sur une future loi, il sera utile de comprendre ce projet pour ce qu’il est: la traduction idéologique d’une vision néo-libérale et surannée des rapports sociaux. Une lutte des classes à l’envers.
Notes