En avril 2023, des activistes ont occupé la forêt zurichoise de Rümlang, menacée de déboisement. La destruction de cette forêt est prévue¹>Soit un défrichement d’environ 11 hectares et l’abattage de quelque 6000 arbres (ATS). afin d’agrandir la décharge Chalberhau, principalement utilisée pour stocker des déchets de construction et de démolition, qui se trouve juste à côté. La population locale proteste depuis longtemps contre l’agrandissement de la décharge, en soulignant que la forêt de Rümlang est un îlot de biodiversité qu’il faut absolument préserver. Elle héberge des espèces rares d’insectes ainsi que des chênes âgés de plus de 100 ans. Dans un monde où la perte de la biodiversité est un problème énorme, cette raison devrait suffire pour empêcher sa disparition. Mais l’occupation de «Rümi» – la forêt est ainsi surnommée – est venue ajouter un argument supplémentaire à sa préservation.

La nécessité d’agrandir la décharge à Rümlang est liée à l’incessant jeu de démolition-reconstruction du bâti pratiqué en ville, en vue du remplacement des vieux immeubles par de nouveaux bâtiments pouvant être loués à des prix plus élevés. La difficulté de trouver un logement abordable dans les villes de Suisse est un problème connu. Les activistes qui ont occupé la forêt de Rümlang font le lien entre les deux problématiques: la perte de la biodiversité et la crise du logement. Il s’agit d’arrêter de détruire inutilement des bâtiments et de protéger les forêts autour des villes.

Aujourd’hui, l’histoire de l’occupation de Rümlang continue et ses potentielles conséquences juridiques risquent d’avoir un impact sur le droit de manifester dans toute la Suisse. En effet, après deux semaines d’occupation, les activistes ont été évacués au printemps au moyen d’un déploiement policier démesuré. En plus des amendes infligées, la police cantonale zurichoise a prévu de répercuter les coûts de son intervention sur un petit nombre d’activistes. Et ceci, sans même attendre que le verdict du tribunal soit rendu. Cette tentative de transfert des coûts est une première à Zurich et constitue un danger pour le droit de manifester. Dans le cas de l’occupation de Rümlang, la somme totale exigée des activistes s’élève à un montant avoisinant les 60’000 francs.

La répression contre Rümi s’inscrit dans une tendance générale de détérioration du droit de manifester en Suisse. A Berne, par exemple, en utilisant la justification du conflit israelo-palestinien, une interdiction temporaire de manifester a été prononcée jusqu’à Noël. A Zurich, une initiative cantonale des jeunes UDC, l’«Anti-Chaoten-Initiative» prévoit, d’une part, de rendre obligatoires les demandes d’autorisation pour toutes les manifestations politiques – ce qui constitue une attaque à la liberté d’expression et d’association. D’autre part, cette initiative «anti-chaos» compte voir la responsabilité des organisateur·ices et des participant·es à des manifestations non autorisées inscrite dans la loi et que ces dernier·ères soient forcé·es à payer les coûts des interventions policières et des dommages potentiels liés à ces manifestations. Ainsi, l’initiative vise à institutionnaliser un transfert de coûts comme celui que la police cantonale zurichoise tente actuellement de faire passer dans le cadre de l’occupation de la forêt de Rümlang.

Le cas de Rümi est d’autant plus important qu’il va créer un jugement de référence susceptible d’influer sur l’initiative des jeunes UDC, et par extension sur le droit de manifester en Suisse. La répression contre l’occupation de forêt à Rümlang illustre donc un problème plus général, une tendance qui menace toute action ou manifestation politiques.

Un collectif de solidarité, indépendant de l’occupation de la forêt, s’est formé pour soutenir les activistes concerné·es par ce transfert des coûts sous le slogan de «Wald statt Repression» («la forêt plutôt que la répression»). Une campagne de solidarité et un financement participatif ont été lancés le 30 novembre.²>Infos: waldstattschutt.noblogs.org