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Les femmes ne sont que chair

Revenant sur l’«affaire Rubiales» en Espagne, Huguette Junod la juge symptomatique d’un «retour de bâton» à l’œuvre dans un pays considéré comme une référence en matière des droits des femmes en Europe, après avoir été marqué par la violence de genre.
Espagne

Ce n’est pas la première fois qu’éclate une affaire de harcèlement, notamment dans le domaine du sport. Depuis #MeToo, une quantité de témoignages nous ont appris que ce phénomène touche tous les milieux. Mais l’affaire Rubiales, lors de la victoire de l’équipe de football féminine espagnole sur l’Angleterre aux championnats du monde de Sydney le 20 août dernier, me paraît symptomatique à plusieurs titres. Rappelons les faits.

Au moment de la remise des médailles aux joueuses espagnoles, le président de la Fédération espagnole de football (RFEF), Luis Rubiales, a saisi l’attaquante Jenni Hermoso par les épaules et lui a collé un baiser sur la bouche. Les images ont tourné en boucle dans les médias espagnols et internationaux, provoquant l’indignation. Comme toujours, l’auteur a prétendu que la joueuse était consentante, obligeant Jenni Hermoso à préciser que ce baiser lui avait été imposé. La RFEF a tenté de minimiser. En vain: l’affaire a pris une tournure politique avec la réaction, le même jour, de la ministre de l’Egalité, Irene Montero, sur X: «Nous ne devrions pas considérer que donner un baiser sans consentement est une chose ‘qui arrive’. C’est une forme de violence sexuelle que nous, les femmes, subissons au quotidien et jusqu’à présent invisible, et que nous ne pouvons pas normaliser.»

Le 21 août, Luis Rubiales présente ses excuses, tout en prétendant que ce baiser est «quelque chose de normal». Le lendemain, le premier ministre, Pedro Sanchez, monte au créneau: «C’est un geste inacceptable. Ces excuses sont insuffisantes, inadéquates, et je pense même qu’elles sont inappropriées et qu’il doit donc aller plus loin.» Dans la foulée, plusieurs ministres ont demandé la démission de Rubiales. Mais ce dernier refuse, droit dans ses bottes et ses certitudes machistes. Les joueuses s’insurgent, annoncent qu’elles n’honoreront pas une prochaine convocation si les dirigeants actuels sont maintenus à leur poste.

Le président de la RFEF ne démissionnera que trois semaines après les faits, le 10 septembre, suivi par onze des douze membres du staff de l’équipe féminine – le sélectionneur Jorge Vilda sera, lui, licencié. Le 20 septembre, la majorité des internationales espagnoles acceptent de réintégrer la sélection pour affronter la Suède en Ligue des nations, à la suite d’un accord avec la Fédération et le gouvernement. Montsé Tomé est nommée sélectionneuse de l’équipe.

Les championnes espagnoles ont donc eu gain de cause, après trois semaines de lutte, de polémique, de prises de position officielles. Mais combien de fédérations continuent de fonctionner avec des responsables qui pratiquent le harcèlement en toute impunité?

Le cas Rubiales est symptomatique parce qu’il minimise un geste qu’il considère comme «normal», alors qu’il s’agit d’une agression sexuelle 1> Inculpé pour agression sexuelle et coercition par la justice
espagnole, Luis Rubiales a été suspendu trois ans de «toute activité liée au football» par la FIFA le 30 octobre. L’ex-président de la RFEF a fait appel. (ndlr)
, puis accuse sa victime et les milieux féministes. La majorité des internautes soutenaient les footballeuses, mais l’affaire a aussi déchaîné des commentaires misogynes et haineux sur les réseaux sociaux.

Selon Le Monde du 12 septembre dernier, si l’Espagne est devenue, ces vingt dernières années, l’un des pays d’Europe où la lutte féministe est la plus vigoureuse et où les avancées en matière d’égalité et de lutte contre les violences faites aux femmes ont été les plus grandes, le royaume est aussi en proie à un backlash dont le parti d’extrême droite Vox est l’incarnation. Prompt à qualifier les féministes de «féminazies», le parti, créé en 2013, en a fait les principales cibles de ses attaques. Il s’oppose aux lois contre les violences de genre, aux tribunaux spécialisés dans les féminicides, aux quotas en politique et au droit à l’avortement.

Selon Rubiales et ses affidés phallocrates, les femmes ne sont que de la chair dont on peut user à sa guise et n’ont, par conséquent, pas droit à la parole.

Notes[+]

* Ecrivaine, Perly (GE).

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