PP, comme police politique
Leurs victimes parlent des «cloaques de l’Etat»; eux-mêmes se qualifiaient de «brigade patriotique». Entre 2012 et 2016, de très hauts cadres du Ministère de l’intérieur espagnol – six sont inculpés – ont fait réaliser des dossiers calomnieux à l’encontre, d’abord, des nationalistes catalans puis, dès 2015, de la formation de gauche Podemos, alors en pleine ascension.
De manière significative, la lumière de plus en plus crue apportée par la justice sur cette police politique du Parti populaire (PP) provoque très peu de réactions, la majorité des partis et des médias – espagnols comme étrangers – préférant passer comme chat sur braise sur ces agissements. Un silence qui contraste avec le bruit occasionné à l’époque par les prétendus comptes suisses des dirigeants catalans ou par le pseudo-financement irano-vénézuélien de Podemos. Chaque fois que l’Espagne vivait un moment de tension politique ou une opportunité d’alliance entre les adversaires du PP, les policiers transmettaient leurs «informations» à certains médias conservateurs – particulièrement à El Mundo, OK Diario et El Confidencial – qui en faisaient leurs grands titres, relayés avec délectation dans l’arène politique par les ministres et les députés du Parti populaire.
Sauf que ces informations se sont révélées fausses. Et le plus souvent fabriquées de toutes pièces, à l’instar de ces documents prétendument «vénézuéliens» réalisés avec la caution de dissidents exilés contre la promesse d’un asile et d’une nouvelle identité.
A l’actif de ce groupe «patriotique» dirigé par Eugenio Pino, alors numéro 2 de la police, on découvre encore le recel (vol?) d’un téléphone portable du leader de Podemos, Pablo Iglesias, dont le contenu finira dans OK Diario. Plus grave encore: l’affaire «Kitchen» aurait vu la police faire disparaître des preuves sur la caisse noire du PP.
Déjà décimé par les affaires de corruption, l’ex-parti au pouvoir devrait logiquement fournir un nouveau lot de détenus du plus haut niveau. A commencer par le ministre de l’Intérieur (2011-2016), le Barcelonais Jorge Fernández Díaz, enregistré à son insu alors qu’il tramait des inculpations à la veille de la consultation indépendantiste du 9 novembre 2014.
Mais pour l’heure, les seuls politiciens à végéter en prison pour avoir censément violé la Constitution sont leurs adversaires catalans, menacés de dizaines d’années d’incarcération pour avoir organisé un référendum… Quant à Podemos, il affronte les prochaines législatives en position de faiblesse, en partie à cause de ses propres errements, mais aussi car la politique incendiaire du PP en Catalogne a porté ses fruits, reléguant la question sociale et la lutte contre la corruption loin derrière les réflexes identitaires.
A trois semaines du scrutin, la crainte est réelle de voir les parrains des «cloaques de l’Etat» retourner dans les ministères, flanqués cette fois des extrémistes de Vox. A moins que les effluves émanant à nouveau de la politique espagnole ne provoquent une réaction de salubrité publique.