Chiapas: le défi de la santé en zone rurale
Je viens de passer à nouveau 1> Lire «A votre santé», Le Courrier du 1er avril 2022. quelques semaines au Chiapas en participant aux activités de l’ONG Madre Tierra Mexico 2> www.madretierramexico.org/ dans leur soutien à la santé globale des populations rurales de cet Etat mexicain. Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé ne se résume pas à l’absence de maladie; les facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent l’état de santé des individus ou des populations demandent à être pris en compte. Par conséquent, l’approche ne peut être que multifactorielle, d’autant si l’on tient compte de la réalité mise en évidence par le concept de «one health»3> www.cdc.gov/onehealth/basics
– une manière d’aborder la santé qui permet de raisonner l’ensemble du système [soit l’interface entre humains, animaux et écosystèmes] et de trouver des solutions qui répondent à la fois à des enjeux sanitaires et environnementaux.
Tout un programme! En particulier dans un contexte marqué par la pauvreté, l’insécurité liée aux cartels de la drogue qui contrôlent une partie du territoire à la barbe des autorités (ou avec leurs complicité?) et par un manque évident de soutien étatique. Sans oublier que les monocultures de maïs, canne à sucre ou agrumes sont la règle et que l’utilisation de produits agrochimiques est devenue la norme.
Par où commencer? Madre Tierra Mexico (MTM), soutenue par la Fédération genevoise de coopération 4> www.fgc.ch/ , déploie un large programme de formation et d’accompagnement de promoteurs et promotrices de santé, de permaculture et de responsables de constructions basiques. Ces promoteurs et ces promotrices sont choisi·es par leurs communautés et ont pour tâche de développer, avec la participation des populations concernées, les activités pour lesquelles ils et elles ont été formé·es. Il s’agit de tenir compte également des besoins exprimés par les «bénéficiaires» qui, souvent, n’ont pas les ressources suffisantes pour s’acheter le minimum nécessaire, ce qui constitue évidemment un facteur défavorable à leur santé.
D’où l’idée de trouver des «activités génératrices de revenu» que beaucoup d’ONG ont, à l’instar de MTM, intégrées dans leurs programmes. En l’occurrence, mettant à profit les beautés de la nature qui entoure la plupart des communautés accompagnées par MTM, de petits centres d’écotourisme locaux ont été créés. Pour une modique somme, les populations des alentours peuvent venir s’y ressourcer et s’y restaurer de plats préparés par les familles à partir des produits qu’elles cultivent, sans agrochimie ni boissons industrielles servies.
Ceci représente un changement d’habitudes en cours pour la population locale puisque, parallèlement, des toilettes sèches, des fours à pain, des cuisinières à bois fermées (en vue d’éviter l’exposition à la fumée passive et de diminuer la consommation de bois) sont en voie de construction, un filtre à eau sur le point d’être installé. Déjà, quelques arbres fruitiers et des légumes auront peut-être été plantés dans les patios, selon une technique éprouvée sur une parcelle de permaculture collective. Parfois même, telle famille aura pu améliorer – voire construire – sa maison en vue de mieux résister aux intempéries. Avec la question de l’eau, si nécessaire à la santé, qui ressurgit chaque fois en toile de fond. Doit-on creuser un puits ou tirer des conduites depuis une source? Faut-il construire un château d’eau ou récupérer l’eau de pluie des toits?
Concevoir un projet de santé globale n’est pas si difficile, mais sa réalisation est souvent plus lente que prévu, surtout si l’on vise à ce que la population se l’approprie ou, mieux encore, qu’elle en soit l’initiatrice. Car il n’est pas question ici de soutien individuel, mais bien le fait d’une communauté organisée, puisque les enjeux dépassent largement les besoins de chacun·e. Le temps demandé par une telle mise en œuvre, nous devons tous l’accepter; y compris les bailleurs qui, trop souvent, exigent des résultats mesurables au bout de deux ou trois ans. Il faut, hélas, aussi compter avec les faits: tel promoteur choisi ne supporte plus sa situation de pauvreté et décide de tenter sa chance en migrant, comme tant d’autres au Chiapas; l’insécurité si présente dissuade les gens de faire usage des nouveaux petits lieux de détente, ce qui freine la création de revenu; l’organisation communautaire présente des failles qui ralentissent les activités; tels professionnels-formateurs campent dans une attitude «académique», ou encore n’ont pas les compétences voulues – notamment en permaculture, domaine encore si peu répandu au Chiapas.
Autant d’aléas de la vie réelle, qui ne devraient étonner personne. Le soutien aux communautés et à leurs jeunes est d’autant plus crucial qu’il permet d’ouvrir des alternatives à la migration et à la délinquance. Cette perspective constitue un puissant moteur pour perpétuellement remettre l’ouvrage sur le métier. En sachant qu’un autre monde n’est possible qu’en le construisant – ici et ailleurs.
Notes
* Pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.