Promesses et ratés des low-techs
Ne vous souciez pas trop du futur: les nombreuses technologies que la recherche et l’industrie sont en train de nous concocter résoudront nos problèmes écologiques. C’est, grosso modo, ce que nous susurre l’écologie libérale, soucieuse de maintenir la voie ouverte à l’ultra technologie et à la croissance. Mais face à ces vaines promesses, des voix divergentes résistent. Remettant en cause la possibilité et le bien-fondé du développement high-tech sans limite, le courant des «low-techs» connaît un grand dynamisme. Il s’agit d’un mouvement prometteur, même s’il souffre pour le moment de quelques limites.
Explorons ce qui se cache derrière ce concept de low-tech. Bien qu’on puisse d’abord penser à des objets très concrets tels qu’un four solaire, une éolienne en bois ou simplement un vélo, l’idée figurant derrière les low-techs est plus large. Selon Philippe Bihouix, auteur de L’âge des low tech (Seuil, Anthropocène, 2014), celles-ci ne se résument pas à un type de technologie, mais constituent une démarche qui suit plusieurs principes. Il les liste dans son livre: remettre en cause les besoins; concevoir et produire réellement durable; orienter le savoir vers l’économie des ressources; développer des produits véritablement au service de la société; relocaliser intelligemment.
Chacun de ces aspects mériterait d’être approfondi, mais cette liste permet déjà de saisir la vision générale des penseurs et penseuses des low-techs: l’objectif est de questionner tant techniquement que politiquement l’innovation et la technologie dont nous avons besoin. Avec une attention particulière portant sur la nécessité de produire de façon durable et respectueuse de nos ressources, mais aussi, et surtout, en questionnant nos besoins. En d’autre termes, se poser la question de «pourquoi produire» en plus de «comment produire».
Plus globalement, la démarche des low-techs questionne aussi la démocratisation de la technologie. Cela fait écho aux réflexions exposées dans nos précédentes chroniques sur la nécessité de démocratiser l’économie en permettant à la société de statuer sur son orientation. Vu sa centralité, la technologie fait partie des domaines à retirer de la mainmise technocratique et à porter sur la place publique. Un débat sur les techniques et sur l’orientation de la recherche qui leur est liée doit avoir lieu; et les low-techs ont leur rôle à jouer.
Mais force est de constater que les low-techs n’en sont pas encore à ce stade. Elles restent en effet principalement cantonnées à un niveau «d’expérimentation de niche». Pour l’heure, il s’agit surtout de projets menés à petite échelle par des gens aisés qui, pour la plupart, disposent de temps et d’espace. Les low-techs n’ont pas encore réussi à se rendre accessibles au plus grand nombre. Tant que ces technologies seront réservées aux seul·es propriétaires de maisons individuelles situées en périphérie, le changement de système qu’elles revendiquent ne sera pas au rendez-vous.
Dans quelle mesure, toutefois, les low-techs pourraient-elles avoir une réelle influence sur nos manières de consommer globales? La question persiste. Les expérimentations locales semblent pertinentes dans la mesure où elles contribuent à asseoir la crédibilité de ces technologies, mais l’avenir de la démarche low-tech passe nécessairement par son inscription dans une visée politique qui n’en est encore qu’à ses balbutiements. Pour donner un exemple concret de cette nécessité, le cas des «repair cafés» est très parlant. Ces ateliers où l’on peut restaurer ses appareils électroniques défectueux sont très souvent confrontés au fait que la plupart des objets ne sont pas conçus pour être réparés: impossibilité d’ouvrir l’appareil sans l’endommager, difficulté d’obtenir des pièces de rechange, conception du produit ultra compliquée, etc. Cette dynamique n’est pas due au hasard, elle est le fruit d’une industrie capitaliste dont l’immuable ligne de mire reste la rentabilité.
Face à un tel constat, il n’est plus possible de contourner le volet politique de la technique. Pour parvenir à l’avènement des low-techs à large échelle, seules des mesures politiques seront à même de mettre en mouvement l’industrie. Par exemple, en obligeant les entreprises à fournir des pièces de rechange plusieurs années après la vente d’un objet, ou en subventionnant celles porteuses de projets low-tech. Le chemin est prometteur, mais encore long pour les low-techs.