S’il en était besoin, les turbulences qui ont secoué les marchés financiers cette année ont rappelé la fragilité du système bancaire international. L’affaire semble débuter le 8 mars 2023 par l’effondrement de la Silicon Valley Bank aux Etats-Unis et se terminer le 19 par le rachat de Credit Suisse par sa principale rivale, UBS. Elle peut surprendre par son apparente brièveté. En réalité, ces événements ne sont que l’épilogue d’une pas si soudaine dégradation des résultats de ces établissements, en grande partie liée à une mauvaise gestion des risques associés à leurs investissements.
Ce qui est inquiétant, c’est de constater que, malgré la mise à jour des standards de la régulation financière internationale en réponse à la crise de 2008, les régulateur·trices ne sont toujours pas parvenu·es à prévenir la faillite d’établissements systémiquement importants. Ou pas autrement qu’en bricolant des solutions de dernière minute, en engageant massivement les ressources financières de l’Etat. Un·e citoyen·ne concerné·e serait en droit de demander pourquoi.
Est-ce peut-être que, dans une économie capitaliste, la crise financière est un mal auquel il faut se résoudre? On ne pourrait que mitiger ses effets mais pas la prévenir? Une rapide mise en perspective historique met en doute cette thèse. Tandis que, de 1950 à 1980, les systèmes financiers restent relativement stables, la période suivante, de 1980 à aujourd’hui, est marquée par de nombreux épisodes de crises financières et paniques bancaires. La cause est sans doute à chercher du côté des changements institutionnels qui marquent le passage entre ces deux phases.
Durant la première période, la finance est fortement régulée: des lois contraignent la libre circulation des capitaux entre les pays, les transactions financières sont taxées et la législation oblige les banques à détenir d’importantes réserves en fonds propres ainsi qu’une part de la dette de leur Etat. Durant la seconde, la finance est dérégulée et les Etats abandonnent les barrières à la libre circulation des capitaux. Dans les pays riches, la part du secteur financier et de la dette dans l’économie prend l’ascenseur. Les institutions financières multiplient leurs opérations et prennent des risques croissants. On retient donc que l’instabilité financière n’est pas une fatalité dans une économie capitaliste, mais bien une conséquence de certains arrangements institutionnels qui permettent une hégémonie de la finance.
Comme illustré par les épisodes de mars 2023, les réformes advenues après la crise de 2008 n’ont pas été suffisantes pour réellement contrôler les risques systémiques associés à la finance internationale. Examinons l’un des instruments de régulation: les exigences minimales en matière de fonds propres. Selon l’évaluation des risques associés à leurs actifs, les institutions financières doivent détenir un certain pourcentage de fonds propres, c’est-à-dire de liquidités immobilisées qui ont pour but d’absorber les pertes en cas de défaut pour éviter que les dépositaires ou l’Etat aient à payer la note. La Banque nationale suisse (BNS) souligne dans son rapport 2023 que Credit Suisse respectait les exigences minimales légales en matière de fonds propres avant sa crise de liquidité. Ce constat rejoint les conclusions des économistes Boone et Johnson qui analysaient en 2013 que les exigences minimales prévues par Bâle III, l’accord listant les standards de la régulation financière internationale, était loin d’assurer la protection des dépositaires et du contribuable contre les risques financiers. La Banque d’Angleterre, pourtant pas la moins libérale des institutions, admettait aussi dans un rapport de 2015 que les besoins en fonds propres étaient drastiquement sous-évalués.
Il est à souligner qu’il est dans l’intérêt des firmes financières de limiter ces fonds propres car ils constituent une masse de capital sur laquelle elles ne touchent pas de retours. La littérature consacrée au pouvoir de la finance explique comment les grandes institutions financières sont parvenues à capturer les régulations pour limiter ces exigences minimales. Les chercheurs Stefano Pagliari et Stephen Young avancent que les intérêts de la finance rencontrent peu d’opposition car le domaine de la régulation financière est perçu comme complexe et les conséquences redistributives de ces politiques ne sont pas claires pour la majorité de la population, qui se mobilise donc peu autour de ces questions.
L’industrie financière mène donc la danse. Et tant que nous laisserons faire, les crises continueront d’être récurrentes. Au fond, les enjeux ne sont pas si complexes: l’industrie financière augmente sa profitabilité pendant que les risques systémiques s’accumulent. Lorsque ces risques se matérialisent, c’est l’économie productive qui en pâtit. Le chômage explose et les travailleur·euses perdent du pouvoir d’achat. Ces questions de régulation méritent donc qu’on s’en saisisse.