Le journaliste israélien Gideon Lévy a arpenté le sud de son pays ces derniers jours: «J’ai été complètement horrifié… J’ai rencontré des gens qui ont vécu un cauchemar indélébile et je suis de tout cœur avec eux. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’à quelques kilomètres d’eux, une catastrophe bien plus grande s’abat sur les habitants de Gaza», écrit le reporter du quotidien Haaretz à la suite des crimes de guerre commis samedi par les assaillants palestiniens. Il s’inquiète de ce que, contrairement à ses compatriotes, les habitant·es de Gaza – considéré·es désormais comme des «animaux» par son gouvernement – n’ont aujourd’hui aucun abri antimissile où se protéger.

Les 1350 Palestinien·nes tué·es dans l’enclave depuis samedi, dont une majorité de civil·es et de nombreux enfants, pourraient n’être que les premières victimes d’un massacre à grande échelle, sans compter la faim et l’absence de soins que le siège présage. «Essayez de l’imaginer: des bombardements incessants sans avertissement. Des frappes aveugles, comme le dit le porte-parole de Tsahal [l’armée israélienne]: ‘L’accent est mis sur les dégâts, pas sur la précision’», s’indigne Gideon Lévy.

Ces crimes de guerre vaudront-ils au drapeau palestinien d’être projeté sur la Tour Eiffel en leur mémoire comme l’emblème israélien l’a été lundi soir? On connaît la réponse. Certaines victimes comptent beaucoup plus que d’autres et sont instrumentalisées pour des raisons géopolitiques.

Les quelque 5000 civil·es gazaoui·es tué·es depuis une quinzaine d’années – dont au moins un millier d’enfants – et les jeunes tirés comme des lapins chaque semaine en Cisjordanie, n’ont pas fait l’objet de tels hommages en Occident. La politique d’occupation militaire, de colonisation et d’apartheid menée par Israël en Palestine – qui est bel et bien à l’origine de la situation actuelle – est tolérée, et même parfois soutenue, par les Etats-Unis, l’Union européenne et la Suisse.

On serait au moins en droit d’attendre de nos Etats qu‘ils brandissent la menace de sanctions au cas où Israël continuait à se soustraire à ses obligations en matière de droit de la guerre. Compte tenu du mode opératoire de l’armée israélienne à Gaza, conduisant à la mort de 500 enfants en 2014 notamment et à plus d’une centaine cette semaine, les faibles injonctions actuelles représentent indirectement un blanc-seing donné à la boucherie en cours.

L’heure est à l’union sacrée contre le Hamas, devenu le nouveau Grand Satan. L’élimination de ses combattants et la destruction de son organisation représenteraient une promesse de sécurité pour Israël – comme l’était le blocus de Gaza décidé il y a seize ans. C’est très mal comprendre la situation: des dizaines de milliers de jeunes Gazaouis marqués par le nettoyage ethnique pratiqué par Israël depuis 1948¹>«Il s’agit d’êtres humains qu’Israël a dépossédés et expulsés, et qu’il a conquis une nouvelle fois sur leur terre d’accueil [Gaza]», décrit Gideon Lévy. Lire aussi le livre de l’historien israélien Ilan Pappé,
Le Nettoyage ethnique de la Palestine (2008). – enfermés, humiliés, bombardés, privés d’avenir et très en colère – sont prêts à mourir pour la «cause» vu qu’aucune perspective pacifique ne leur est offerte. Au sein du Hamas ou d’une autre organisation – de nombreux autres groupes ont participé à l’attaque criminelle de samedi –, eux ou leurs enfants continueront ce combat, quelle que soit la violence de la répression. La seule opportunité pour la sécurité d’Israël est la fin de l’occupation, du blocus et de la colonisation et l’octroi de droits égaux pour toutes et tous.