Contrechamp

La radio, un outil de lutte féministe

A Genève, les Archives contestataires proposent deux événements publics pour faire connaître les archives sonores féministes qu’elles conservent. Un parcours entre histoire des mouvements sociaux et histoire des médias à découvrir les 14 et 20 octobre.
La radio, un outil de lutte féministe
Vue du studio de Radio Zones où étaient produites les émissions Radio Pleine Lune et Remue-ménage. ARCHIVES CONTESTATAIRES. FONDS VIVIANE GONIK
Archives sonores

«Remue-ménage fait le ménage à trois, tous les mercredis matin sur Radio Zones, 93.8, en direct de dix heures à midi!» annonce Catherine Hess dans le générique de l’émission de radio féministe qu’elle anime avec Alda de Giorgi et Marianne Aerni. Diffusée entre 1988 et 1999 sur les ondes de Radio Zones, radio associative de la région genevoise, l’émission Remue-ménage naît dans le sillage du mouvement des radios libres, une vague de contestation du monopole d’Etat sur les ondes FM qui émerge à la fin des années 1970 dans plusieurs pays d’Europe. A Genève, des militant·es s’approprient les ondes en mai 1976 et diffusent une série d’émissions politiques sur des sujets variés: travail saisonnier, prisons, luttes féministes, etc. C’est Radio pirate 101, dont l’existence est annoncée par des affiches collées sur les murs de la ville. A la suite de cette expérience et de la libéralisation des ondes FM en France est lancée Radio Zones, en 1981. Géré par une équipe franco-suisse, le premier studio de fortune est installé dans le Pays de Gex. Ce sont des femmes, la plupart membres de L’Insoumise – un groupe du Mouvement de libération des femmes genevois –, qui possèdent l’émetteur, ce qui leur permet de s’octroyer un jour entier pour des émissions féministes.

L’émission Radio Pleine Lune voit le jour en 1981, puis Remue-ménage (intitulée Ménage-toi pendant ses deux premières années1>Les archives de l’émission Ménage-toi sont conservées par la fondation Collège du travail, à Genève.) en 1986. Les femmes de la radio traitent d’une multiplicité de sujets, toujours dans une perspective féministe: elles font intervenir des femmes à l’antenne, analysent l’information à partir des conséquences des événements sur la vie des femmes, présentent des initiatives féministes, promeuvent des productions culturelles féminines, jusqu’au choix des musiques diffusées. A la fin des années 1970, raconte Viviane Gonik, animatrice de Radio Pleine Lune, «il y avait très peu de femmes à la radio et dans les médias. Elles avaient des rubriques réservées pour parler en général de travail domestique, de recettes, de mode…». Il s’agissait alors «d’ouvrir un espace de parole aux femmes, pour qu’elles puissent parler de tout».

Les archives de ces deux émissions sont conservées sous la forme de cassettes audio par les Archives contestataires, une association genevoise qui collecte et sauvegarde la documentation issue des mouvements sociaux de la deuxième partie du XXe siècle. Pour assurer leur conservation à long terme, ces cassettes ont été numérisées et peuvent être écoutées sur le site des Archives contestataires2>www.inventaires.archivescontestataires.ch. L’année dernière, la série de podcast «Radio Pleine Lune et ses ‘vies ultérieures’» a été réalisée à partir des archives de l’émission. Le travail de description des archives de Remue-ménage est en cours et elles seront bientôt accessibles en ligne. C’est l’animatrice de l’émission, Catherine Hess, qui a fait don des cassettes aux Archives contestataires pour qu’elles soient conservées à long terme et surtout pour les rendre accessibles aux historiennes et historiens aussi bien qu’aux militantes et militants actuels.

Mêlant reportage et direct, l’émission se concentre sur différentes problématiques de la vie des femmes: actualité du mouvement féministe et des associations actives auprès des femmes; questions de santé, notamment sexuelle et reproductive; initiatives de soutien à des groupes de femmes hors de Suisse; conditions de travail des femmes, au foyer et au-dehors; actualité généraliste et culturelle.

Un relai des luttes locales

Ces archives sonores constituent des traces de l’activité féministe à Genève. En mars 1996, Marina Decarro fait à l’antenne un bilan des événements du 8 mars – journée thématisée autour du travail des employées domestiques – organisés par le Collectif du 14 juin et Espace femmes international. La forme du reportage ou du récit libre permet de relater des rencontres, comme dans l’émission du 5 juin 1991 où les préparatifs de la grève des femmes du 14 juin sont présentés par Catherine Hess. Elle raconte sur les ondes sa rencontre avec des horlogères de la vallée de Joux, lit des extraits de la presse locale au sujet de la grève et expose une série de faits sur les discriminations des femmes au travail.

Mais l’émission ne se cantonne pas aux mouvements féministes, ce sont les mouvements sociaux dans leur ensemble qui trouvent un relais dans Remue-ménage. L’émission du 4 novembre 1987 donne la parole à des membres du Groupe d’habitant·es des Eaux-Vives qui évoquent les différentes mobilisations qui ont eu lieu dans leur quartier, entre le mouvement de réoccupation des immeubles de la rue Pré-Naville, à la mobilisation contre un projet architectural à Villereuse, en passant par du soutien individuel aux locataires. Le 25 septembre 1996, Anne Plattner du collectif Viva Zapata et Pierrette Iselin évoquent la première Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, initiée par l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) qui a eu lieu à l’été 1996 au Chiapas.

Productions culturelles féminines

Entre 1989 et 1998, les animatrices de Remue-ménage se rendent chaque année au Festival de films de femmes de Créteil, qui présente des réalisatrices du monde entier depuis 1979. Avec leur micro elles parcourent le festival et interrogent des réalisatrices et spectatrices sur les films projetés, qu’elles diffusent ensuite dans une émission qui permet d’illustrer la richesse des échanges qui ont lieu dans ce cadre.

Le 15 décembre 1999, Radio Pleine Lune et Remue-ménage diffusent en direct leur dernière émission. Dans un communiqué de fin lu avec émotion par Catherine Hess, les animatrices expliquent les raisons de cette fin: «Il nous faut constater avec plaisir que la voie que nous avons ouverte avec la radio est aujourd’hui bien dégagée. Il y a de plus en plus de femmes journalistes qui s’expriment sur tous les sujets, et non plus seulement sur la ‘page de Madame’. La culture et la créativité des femmes sont entrées dans l’institution, comme à la Comédie de Genève, et même les prostituées, à qui nous avons été les premières à donner la parole, reçoivent aujourd’hui Ruth Dreifuss.»

A travers ces cassettes désormais numérisées, c’est la mémoire de l’action militante au sens large des années 1990 qui est documentée. Mais elles permettent aussi de découvrir une manière de faire de la radio, au carrefour entre l’irruption des radios pirates et la pratique professionnelle aujourd’hui hégémonique. Ce sont ces deux aspects, entre histoire des mouvements sociaux et histoire des médias, que les Archives contestataires vous invitent à découvrir les 14 et 20 octobre prochains.

Un atelier d’Ecoute et une journée d’Etude

A l’occasion de la Journée internationale du patrimoine audiovisuel, les Archives contestataires organisent deux événements:

• Ateliers. Samedi 14 octobre au Forum Grosselin, à Carouge, deux «ateliers d’écoute critique» seront animés par Juliette Volcler. Considérée comme allant de soi, passive, secondaire, l’écoute constitue pourtant un objet socialement construit et culturellement complexe. Autour de pièces sonores choisies, nous prendrons le temps de la pratiquer collectivement comme outil d’analyse artistique, de critique des médias, de discussion et d’émancipation. Jardinière, chercheuse indépendante, autrice et artiste sonore, Juliette Volcler s’intéresse à l’écoute critique. Elle travaille sur l’histoire de la création sonore, les usages sociaux et politiques du son et la façon dont ces deux champs s’entremêlent.

Sa. 14 octobre, séances à 14h et à 16h. Durée: 1h30. Forum Grosselin, rue Jacques-Grosselin 50/C,
Carouge.

• Journée d’étude. Vendredi 20 octobre au Théâtre du Galpon, une journée d’étude intitulée «Les pratiques féministes de la radio et leurs contextes, 1975-2000» rassemblera chercheur·euses et archivistes pour discuter de la fonction particulière de la radio dans les mouvements féministes des années 1980-1990. La matinée sera consacrée au devenir des mouvements féministes dès les années 1980 avec Sarah Kiani, à l’évolution du paysage radiophonique à partir des années 1980 avec Marie Sandoz et Marc Colin, et à l’histoire des radios pirates en Suisse alémanique avec Anne-Christine Schindler. L’après-midi sera dédiée à des études de cas: Ingrid Hayes présentera la radio pirate des sidérurgistes lorrains Lorraine cœur d’acier, Mathilde Leroy évoquera l’émission anarcha-féministe Femmes libres (Radio libertaire, Paris), puis des productions genevoises seront décrites par Patrick Auderset (émission Ménage-toi) et Géraldine Beck (Radio pleine lune et Remue-ménage). GB

Ve. 20 octobre, de 9h à 17h30 (repas de midi offert), Théâtre du Galpon, 2 rte de Péniches, Genève.

Inscriptions obligatoire pour les deux événements: reservation@archivescontestataires.ch

Rens: www.archivescontestataires.ch

(Evénements organisés avec le soutien de Memoriav, de la Ville de Genève et de la fondation Ernst Göhner).

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