Protéger les locataires menacé·es d’expulsion
En Suisse, près d’un million de personnes vivent dans la précarité ou sont menacées de pauvreté. Les ménages ont perdu 20% de leur revenu durant le Covid. Ils affrontent des vagues de hausses de loyers liées aux taux d’intérêt. A l’autre bout de la chaîne, explose la part des actionnaires sur la richesse produite. Les dividendes ont crû de 6,2% pour atteindre 44,2 milliards de francs en 2022; plus que les aides de la Confédération pendant le Covid.
La pression sur les locataires est énorme. Les données statistiques sont lacunaires et il est difficile de connaître l’ampleur des expulsions de locataires. Une étude constatait qu’en 2021, 730 personnes avaient besoin d’un hébergement d’urgence à Genève; 64% d’entre elles étaient des résident·es.
Il n’existe pas de protection contre les congés pour défaut de paiement. Le locataire doit s’acquitter du loyer. S’il ou elle n’y parvient pas, le bailleur peut donner un délai de 30 jours pour se mettre à jour. A défaut, le bail peut être résilié avec un délai de 30 jours pour la fin d’un mois. Le locataire n’a pas droit à une deuxième chance. Si après le congé il se met à jour, cela n’oblige pas le bailleur à remettre le bail en vigueur. Le Parlement fédéral a refusé de prévoir un droit à un délai d’épreuve. Tout ce qu’un tribunal peut faire aujourd’hui consiste à octroyer un sursis humanitaire de quelques semaines, en cas de problèmes de santé ou de circonstances exceptionnelles. Une fois l’évacuation prononcée, l’expulsion peut avoir lieu, peu importe la saison, avec ou sans relogement. A Genève, les locataires ne sont pas prévenu·es de la date de l’intervention.
Il faut trouver des solutions à ces deux problèmes aux niveaux cantonal ou communal, faute de marge de manœuvre au niveau fédéral. A Genève, l’Asloca, la Chambre immobilière et l’Etat ont conclu un accord pour que les locataires puissent bénéficier d’une aide immédiate pour éviter la résiliation. Les régies peuvent joindre à la mise en demeure un formulaire indiquant que le ou la locataire peut s’adresser à l’Unité logement de l’Hospice général pour obtenir une aide au paiement des loyers en retard. Celle-ci réagit dans le délai de mise en demeure pour éviter le congé. Des discussions sont en cours dans le canton de Vaud pour une solution similaire.
Eviter la résiliation de bail et l’expulsion permet d’assurer la dignité des personnes. En l’absence d’un nombre suffisant de logements d’urgence en appartements, les évacué·es judiciaires sont parfois relogé·es à l’hôtel ou en foyer. Les difficultés sont grandes, en particulier pour les familles: impossibilité de se préparer un repas, manque d’espace pour les enfants, perte du lien social, etc.
Ces conséquences frappent les enfants. Elles devraient amener les autorités de police à refuser, ou retarder, l’exécution d’un jugement d’évacuation lorsque la famille n’a pas de solution de relogement. Les droits fondamentaux doivent être respectés à tous les niveaux. La Suisse s’est engagée à protéger les familles, «reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension» (Convention relative aux droits de l’enfant). La Convention prévoit une obligation spéciale de garantir un niveau de vie suffisant aux enfants par une assistance pour le logement.
Concernant les cas où l’évacuation ne peut, en l’état du droit, être évitée, il faut garantir que le locataire soit informé de la date et de l’heure de l’évacuation plusieurs jours avant. Cette pratique a été supprimée à Genève pour éviter que le locataire résiste à son expulsion. Le service des évacuations de la police participe aux audiences du Tribunal des baux et loyers. Il a donc la possibilité d’évaluer le risque d’hétéro ou d’auto-agressivité.
Ces diverses mesures constituent un socle minimal. La dignité humaine doit primer sur l’intérêt du propriétaire à relouer au plus vite et le plus cher possible le logement. L’intérêt financier du bailleur serait préservé puisque l’Etat et/ou les communes pourraient garantir le loyer, ce qui serait moins coûteux qu’un hébergement d’urgence à l’hôtel ou dans un foyer – une nuit au foyer Le Cœur des Grottes, par exemple, coûte 84 francs.
Avec la crise du logement et les loyers qui explosent, il est urgent d’avancer dans la protection des locataires menacé·es d’expulsion.
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime ici à titre personnel.