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Des réfugiées à l’épreuve de l’hygiène menstruelle

Dans les camps de refugié·es en Ouganda, grand nombre de femmes et de filles n’ont accès à des articles d’hygiène ni à des infrastructures adaptées. Telle Josephine, qui craint chaque vingt-huit jour la venue de ses règles. Comment faire sans serviettes hygiéniques ni accès à l’eau, dans un contexte où les menstruations sont taboues?
Ouganda

Dans un camp de réfugié·e·s en Ouganda, une jeune femme vient d’apercevoir qu’une grosse tache de sang souille sa jupe. Pendant une seconde, elle envisage de retourner à la tente familiale, mais ses frères et sa mère sont à l’intérieur. Si seulement elle pouvait faire disparaître cette tache d’un claquement de doigt… Josephine a 18 ans. Elle a fui la guerre au Soudan du Sud en 2015 avec sa famille. Depuis qu’elle est arrivée en Ouganda, sa principale préoccupation consiste à trouver, chaque jour, de l’eau et de la nourriture. Mais quand Josephine a eu ses premières règles, ce souci s’est ajouté aux autres.

«En tant que réfugiée dans ce camp, devoir gérer mes règles avec des toilettes partagées par la communauté, et souvent sans eau, est un défi mensuel. Certains mois, le sang surgit de manière inattendue, c’est impossible à anticiper et cela me frustre énormément. S’il y a une fuite visible sur mes vêtements, j’en prends conscience en entendant les moqueries des garçons du camp. Même mes propres frères rient de moi. Certaines personnes disent que c’est une malédiction. J’ai commencé à détester mon corps», témoigne la jeune ­réfugiée.

Etant donné que les règles sont taboues, Josephine a dû apprendre à gérer ce changement corporel sur le tas, en secret, avec l’aide d’autres filles. Ce sont elles qui lui ont dit quoi faire. En l’absence de protections hygiéniques accessibles, les jeunes femmes doivent improviser avec des feuilles ou de vieux chiffons. Cette méthode rudimentaire mine la confiance des jeunes filles.

En 2016, la famille a été transférée à Palorinya, à environ 30 kilomètres à l’ouest de leur premier abri. Josephine avait alors 11 ans. C’est là qu’elle a reçu son premier paquet de serviettes hygiéniques jetables. «Vous imaginez, s’exclame-t-elle en riant, pendant plusieurs mois, j’ai eu des serviettes hygiéniques! Des femmes nous ont même montré comment les utiliser. C’était comme un rêve.» Mais le rêve n’a pas duré car, un an plus tard, la famille a été déplacée à Bidibidi, un autre camp où rien de tel n’existait. Bidibidi est l’un des plus grands camps du monde avec environ 190’000 réfugié·es.

Le cas de Josephine n’est pas isolé. Des enseignant·es ont d’ailleurs constaté un fort taux d’absentéisme récurrents chez les jeunes filles car celles-ci n’osent plus sortir de chez elles quand elles ont leurs règles. Deborah Nabukeera, collaboratrice de l’EPER à Bidibidi, a mobilisé 14 femmes pour créer des serviettes hygiéniques réutilisables qu’elles cousent et qu’elles ont nommées les «bidipads». Une coopérative a été créée avec l’organisation partenaire Yugnet et réunit des habitantes, des réfugiées, des élèves et des maîtresses de toute la région.

Avec la mise en service des bidipads, l’EPER a permis à de nombreuses élèves, telle Josephine, de retrouver une dignité. L’attention des autorités et de la population sur cette thématique a aussi été attirée au moyen de campagnes de plaidoyer. Un comité de gestion de la santé menstruelle a d’ailleurs été créé pour défendre et plaider en faveur d’une meilleure gestion de l’hygiène féminine.1>YouTube «Breaking the Silence on Menstrual Health and Hygiene».

Actuellement, l’EPER et ses partenaires du Swiss Water & Sanitation Consortium travaillent pour réduire la stigmatisation des règles, promouvoir la production locale de serviettes hygiéniques réutilisables et stimuler la discussion, notamment dans les écoles. Josephine est d’ailleurs devenue présidente du Club de Santé de son établissement. Et si de telles initiatives pouvaient être lancées dans d’autres camps de réfugié·es?

 

Notes[+]

EPER, Entraide protestante suisse, www.eper.ch

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