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«Des violations des droits lourdes de conséquences»

L’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE) réagit aux réponses apportées par le Département fédéral des affaires étrangères dans le cadre de notre article, paru en août, qui traitait des obstacles administratifs au regroupement familial des réfugié·es.
Regroupement familial

Dans son numéro du 9 août 2023, Le Courrier a publié un article sur les obstacles rencontrés aux ambassades de Suisse par des personnes en attente d’un regroupement avec leurs familles domiciliées en Suisse. L’article en question se basait notamment sur des situations relayées dans le dernier dossier thématique de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·èrexs (ODAE).

Contacté par Le Courrier, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a répondu aux constats soulevés par l’ODAE. Une réponse particulièrement problématique à nos yeux. L’exigence imposée par la représentation suisse à Islamabad que les documents soient légalisés par le Ministère des affaires étrangères taliban questionne. Cependant, l’élément le plus problématique concerne l’affirmation selon laquelle, y compris pour des personnes réfugiées statutaires, «l’expérience montre qu’il est possible pour les ressortissants érythréens de se procurer [un passeport] auprès de leur ambassade au Soudan». Se rendre dans une ambassade pour demander un passeport signifie signaler sa présence en exil aux autorités de l’Etat à l’origine des exactions qui ont valu à la personne concernée le statut de réfugié·e.

Exiger d’une personne reconnue réfugiée qu’elle prenne contact avec les autorités de son pays d’origine est contraire à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, puisque la qualité de réfugié·e est précisément obtenue en raison d’un risque de persécution par les autorités de son pays. S’adresser à son Etat national pour obtenir des documents d’identité équivaut à renoncer à la protection internationale et, le cas échéant, à perdre son titre de séjour en Suisse. La Convention onusienne prévoit donc que ce sont les autorités du pays d’accueil qui doivent assurer la délivrance de documents d’identité et de voyage aux personnes reconnues comme réfugiées. En Suisse, cette interdiction de prendre contact avec les autorités du pays d’origine – et donc de se rendre auprès de l’ambassade dudit pays – vaut également pour les personnes en cours de procédure d’asile 1>Arrêt du TAF E-1995/2009 du 24 août 2011. .

En raison du risque de persécutions en cascade sur les membres de la famille d’une personne réfugiée, la loi sur l’asile prévoit que «le conjoint d’un réfugié et ses enfants mineurs sont reconnus comme réfugiés et obtiennent l’asile», (art. 51 LAsi). La protection accordée à la personne réfugiée s’applique ainsi également aux membres de sa famille. Sur ce point, il est utile de noter que pour obtenir un passeport, les ressortissant∙es érythréen·nes doivent posséder une carte d’identité, et que pour obtenir cette carte d’identité, ils ou elles doivent fournir un certificat de famille. Comme le souligne Sarah Vincent, juriste chez elisa-asile, «une personne qui souhaite obtenir un passeport est ainsi contrainte de révéler l’identité de sa famille. Si son ou sa conjoint∙e risque des persécutions en Erythrée, cela mettra la personne qui demande un passeport également en danger. Et la plupart des Etats procèdent de manière similaire».

Pour ces raisons, exiger d’une personne en demande de protection internationale ou reconnue réfugiée de se rendre à l’ambassade de son pays d’origine est aussi risqué que parfaitement illégal. Il est particulièrement choquant que cela puisse être ignoré par le département en charge de la supervision des représentations suisses à l’étranger. Des violations des droits lourdes de conséquences pour des familles qui ne souhaitent qu’être réunies.

Notes[+]

Elisa Turtschi est responsable du pôle Asile, ODAE romand.

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