Et ce n’est que la pointe de l’iceberg
Mille deux abus sexuels ont été répertoriés à ce jour dans l’Eglise catholique suisse, depuis le début du XXe siècle. Et il ne s’agit sans doute que de la pointe de l’iceberg, la plupart des cas n’ayant pas été signalés: c’est le dramatique constat livré mardi par l’université de Zurich. Pour comparaison, l’enquête française tablait sur 330’000 victimes, pour une population environ huit fois supérieure.
L’un des aspects les plus choquants évoqué dans la première étape de cette recherche est l’aveuglement des évêques qui se sont généralement contentés de déplacer les clercs incriminés. Dans l’un des cas mentionnés, un prêtre condamné pénalement à deux reprises a même pu conserver son ministère. Le cas remonte aux années 1950, dans le diocèse de Coire. Alors que les abus sexuels sur mineur·es sont depuis longtemps considérés par le droit canonique comme un délit grave, la hiérarchie a ainsi été plus préoccupée de protéger l’Eglise que les victimes souvent priées de se taire. Pour une institution dédiée à prêcher l’amour, la débâcle est terrible.
Depuis les années 2010, l’Eglise catholique a compris que le problème n’était pas d’abord individuel mais systémique. Car l’institution réunit tous les ingrédients favorables à l’éclosion de tels actes criminels: la concentration des pouvoirs entre quelques mains – et des fidèles maintenus sous tutelle; l’obéissance élevée au rang de dogme; et surtout, un système symbolique qui confond l’homme et sa fonction. Il n’est pas étonnant que ce soit dans la pastorale (confession, service de messe, enseignement religieux), là où cet alliage est le plus puissant, que l’essentiel des violences ont eu lieu. Il faut rappeler aussi l’image dévoyée de la sexualité prêchée par l’Eglise catholique, propice à favoriser le secret.
Le mandat confié à deux historiennes de l’université de Zurich par la Conférence des évêques suisses (CES), et deux autres corporations importantes, est salutaire et courageux. Les évêques n’ont pas non plus rechigné à ouvrir l’accès à leurs archives. Mais l’équipe de recherche a rencontré des situations très diverses: certaines d’entre elles n’ont été ni inventoriées ni classées, d’autres sont en cours de liquidation.
Si des pas concrets ont été accomplis, telle l’obligation de signalement définitivement établie en 2019, la vague des révélations et du scandale n’a pas fini de s’élever ni de grossir. Des vies ont été englouties, elle pourrait aussi engloutir l’Eglise.