L’enlisement, et pourtant…
Les services de renseignement américains estiment que la contre-offensive ukrainienne lancée début juin s’enlise et ne devrait pas pouvoir atteindre ses objectifs (Libération, 18 août). Le déroulement attendu par les Ukrainiens s’est visiblement heurté aux défenses russes, plus pugnaces que prévues, sans compter les tranchées et les champs de mines. L’apport de chars obtenus après de difficiles négociations auprès des pays occidentaux n’a pas eu l’effet escompté.
Interrogé par le Washington Post, Rob Lee, analyste militaire au Foreign Policy Research Institute [think tank étasunien], explique que la reconquête de Melitopol espérée par les Ukrainiens s’avère également très incertaine; les troupes ukrainiennes s’en trouvent aujourd’hui à 80 kilomètres. Cette lenteur de la contre-offensive ukrainienne a été reconnue par le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba; il a néanmoins déclaré que Kiev n’arrêterait pas de se battre tant que toutes ses terres ne seraient pas reprises. «Nous nous moquons du temps que cela prendra». Se moque-t-il aussi du nombre de ses concitoyen·nes, des jeunes en particulier, qui seront sacrifié·es?
Le sacrifice a pourtant déjà été démesuré, en soldats, munitions, temps, pour reprendre le territoire autour de Bakhmout – mais pas pour autant le contrôle de la ville. Selon les Renseignements américains, les pénuries d’équipement et de forces armées pourraient signifier que la contre-offensive sera «bien en deçà» de l’objectif initial de l’Ukraine qui était de couper aux Russes l’accès terrestre vers la Crimée d’ici août.
Pour le général étasunien Mark A. Milley, président des chefs d’état-major interarmées, ce n’est pas une surprise. «J’avais dit il y a quelques mois que cette offensive allait être longue, ça va être sanglant, ça va être lent. Et c’est exactement ce que c’est: long, sanglant et lent, et c’est un combat très, très difficile.» C’est ce même général Milley qui avait à deux reprises (9 et 16 novembre 2022) appelé les belligérants à la négociation (cf. ma lettre au Courrier «Jusqu’à quand?» du 11 janvier 2023)
La presse nous informe maintenant que l’armée ukrainienne s’est emparée de Robotyne, petit village situé au nord-est de Melitopol, pour souligner – c’est devenu un leitmotiv – «un intérêt symbolique, malgré un intérêt territorial marginal»… Au nom d’une symbolique accommodante bien rôdée, ceux qui attisent le feu des champs de bataille se moquent des pertes en vies humaines, en même temps que des difficultés économiques dans lesquelles ils entraînent les citoyen·nes les plus modestes, dans l’Europe entière, ainsi que du chaos énergétique qu’ils engendrent (ces deux derniers aspects sont d’ailleurs liés), au nom de la défense des «libertés» et d’une «guerre sainte» contre le président russe.
Au lieu de valider le mensonge de la vraie fausse «révolution» de Maiden en 2014, et de se laisser embarquer dans une guerre dont le seul but est d’étendre l’hégémonie des Anglo-saxons sur l’ensemble des pays du monde et, pour le président ukrainien, de satisfaire sa soif de gloire, les Européens feraient mieux de s’impliquer dans un processus de négociations, certes difficile, mais pas impossible.
Tout récemment, le plaidoyer de l’ancien président français Nicolas Sarkozy pour une Ukraine neutre et un référendum sur l’annexion de la Crimée par la Russie a suscité dans l’Hexagone un tollé de réactions autant vertueuses qu’indignées, où le qualificatif «honteux» occupe une bonne place dans la bouche de politiciens de «très haute moralité». Très loin des orientations politiques de Monsieur Sarkozy, je pense néanmoins que la honte est plutôt de poursuivre le cautionnement du sacrifice d’une jeunesse, autant ukrainienne que russe, au nom de mensonges savamment entretenus et distillés par une presse dominante meneuse du jeu.
Claude François Béguin, Genthod (GE).