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Touristiquement vôtre

Léon Meynet interroge les méfaits du tourisme de masse.
Vacances

Les villages, les villes, les régions, les îles se réjouissent que l’on parle d’eux dans la presse ou dans les émissions de voyages à la TV avant le début des grandes vacances. Chacun·e met en exergue sa spécificité historique. Son château, son église, ses rues typiques et fleuries, son volcan, son eau turquoise, sa spécialité culinaire font flamber les imaginaires quand ce ne sont pas les feuilletons qui, quotidiennement, invitent à partager la typicité, la convivialité, l’authenticité des lieux.

Ainsi, nous allons indifféremment à la Réunion pour son Piton de la Fournaise, à Bali pour ses eaux transparentes, ses danses et sa branchitude, à Marseille pour son Mucem et pour Plus belle la vie – et bien non, pour les Marseillais, elle n’est pas aussi belle que cela – à Bruxelles pour son Manneken-Pis et ses frites, à Genève pour son lac, son jet d’eau et son horloge fleurie, à Moscou pour sa Place Rouge et «Nathalie, notre guide», à Acapulco, à Copacabana ou à Tahiti pour leur exotisme, à Londres pour son Big Ben, ses pubs et ses demeures royales, en Bretagne pour son authenticité, sa fraîcheur atlantique, ses crêpes et son cidre, et ainsi de suite.

Partout, tout le temps que des superlatifs aux dépaysements, aux paysages, à la bonne chère, fusse-t-elle pas trop cher, aux bonnes bières, aux bons vins, fussent-ils d’un bon rapport qualité-prix. La palette de l’offre est large et tous les déplacements sont possibles en avion, en bateau, en train, à vélo, à pied ou à cheval selon nos désirs ou selon nos moyens.

Et, une fois dans le lieu, dans la ville de nos rêves, nous sommes des relayeurs invétérés en production frénétique d’images pour les réseaux asociaux. De révélateurs des bons coins que nous avons dégottés, des bons plans mer, campagne, montagne qui nous réjouissent; quand ce n’est pas plus prosaïquement les assiettes chaudes ou froides sublimement composées qui sont devant nous pour le déjeuner ou le dîner.

Pour les plus jeunes, chacun·e y va de son gag farfelu, de son selfie déjanté, de son reportage instantané débridé sur Tik Tok. De cette joyeuseté tous azimuts naissent des réseaux d’addiction de 7 à 77 ans dont l’ampleur n’a jamais été démentie jusque-là. A un point tel que certaines villes, certains lieux crient au secours, «n’en jetez plus la cour est pleine». Oui, pleine, saturée pour les natifs des lieux en question mais pas pour les commerçants, pleine pour les puristes mais pas pour les restaurateurs.

Pleine à un point tel, qu’il est parfois question d’établir des quotas pour juguler cette débordante horde. Ainsi dans les Calanques où cette mesure est effective avec compteur à l’entrée faisant foi, ou dans l’Ile de Beauté où ce n’est pour l’heure qu’une bonne intention, où à Barcelone qui est la précurseure de ce cri d’alarme renforcé par la problématique du développement incontrôlable des Airbnb, au détriment des besoins de logements et de leurs coûts pour les autochtones mais aussi à Venise, où quand le trop pose question, c’est l’Unesco qui s’en mêle pour placer la Sérénissime en tête de liste du patrimoine mondial en péril.

Et comme toute cette engeance fonctionne avec l’orgie des smartphones et de leurs applications, nous ne sommes pas vraiment prêts·es à voir une sortie de ce tunnel touristique consumériste. D’aucuns en seront fort aises et d’autres fort fâchés, mais quand c’est le pognon qui fait la loi ces derniers comptent pour beurre et n’ont qu’à subir et la fermer.

Léon Meynet, Chêne-Bougeries

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