«Le dialogue porte ses fruits»
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’interview de Dominique Hartmann avec le pasteur Henry Mottu, dans Le Courrier du vendredi 7 juillet. Tout en partageant l’essentiel de sa position sur un pacifisme «circonstancié», j’ai cependant de la peine à approuver la conclusion qu’il en tire par rapport à l’invasion de l’Ukraine. Cela tient peut-être à des vécus différent d’une même époque d’histoire: le pasteur Mottu et moi sommes de la même génération, celle née l’année de l’invasion de la Pologne par Hitler déclenchant la Deuxième Guerre mondiale. La Suisse a pu se tenir à l’écart, mon pays, les Pays-Bas, envahi l’année suivante, a connu pendant cinq ans les horreurs de l’occupation hitlérienne. Quel aurait été le sort de mon pays si les puissances alliées avaient renoncé à mener la guerre jusqu’au bout? Si elles avaient opté uniquement pour le soutien à la résistance des opposants à Hitler en Allemagne? La petite ville de Wageningen, où le 5 mai 1945 l’armée de l’envahisseur a signé sa reddition, est ma ville natale. C’est ce vécu d’une guerre d’invasion, d’agression et de la libération qui a marqué toute ma jeunesse, qui m’interdit de me ranger aujourd’hui aux côtés de ceux qui prônent que les Ukrainiens n’ont qu’à signer un compromis qui leur ferait perdre 20% de leur pays. Et qui donnerait raison, même si c’est raison partielle, à l’envahisseur, quoi qu’on en dise.
Ceci dit, je n’aurais peut-être pas réagi par écrit à cette interview s’il n’y avait pas eu la réponse du pasteur Mottu à la question sur la position du COE [Conseil œcuménique des Eglises] concernant l’Eglise orthodoxe russe. Je respecte son point de vue qui est de dire que le COE aurait dû mettre le Patriarche Kirill devant le choix: si vous ne déclarez pas que l’agression de l’Ukraine est injuste, nous rompons les relations. Mais je ne l’approuve pas. Ayant eu et ayant partagé avec mes collègues au COE pendant douze ans la responsabilité des relations avec les Eglises membres, je sais par expérience que l’option de la rupture ne fait pas partie de la nature même de communauté d’Eglises qu’est le COE. Mais j’accepte volontiers que les opinions peuvent diverger, au sein même de notre communauté, et je suis reconnaissant aux délégués de l’Eglise évangélique réformée de Suisse d’avoir formellement posé la question de la rupture au Comité central du COE en juin 2022.
Le pasteur Mottu fait cependant fausse route en faisant le parallèle avec l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. S’il y a un exemple de dialogue avec des Eglises membres dans l’histoire du COE c’est bien la consultation de Cottesloe, près de Johannesburg, convoquée par le secrétaire général le pasteur Visser ’t Hooft en décembre 1960 après le massacre de Sharpville. Et s’il y a un exemple de rupture, c’est celle des Eglises réformées d’origine hollandaise qui, à la suite de cette consultation, ont dénoncé leur qualité de membre du COE. Ce n’est pas le COE qui les a exclues, ce sont elles qui se sont retirées.
Bien sûr, par la suite, le COE a suspendu ses relations avec certaines institutions proapartheid, en Afrique du Sud et ailleurs. Entre autres avec des banques suisses comme l’UBS et le Crédit Suisse qui continuaient à coopérer avec le gouvernement de l’Afrique du Sud. Mais jamais avec ses Eglises membres. Il y a bien eu un cas qui a fait date, et qui est parfois attribué par erreur au COE: en 1982 l’Alliance réformée mondiale (aujourd’hui la Communion mondiale des Eglises réformées) avait suspendu la qualité de membre de l’Eglise réformée hollandaise d’Afrique du Sud, devant le refus de cette dernière de condamner l’apartheid comme une hérésie. L’Alliance en avait fait un status confessionis.
Il faut peut-être mentionner que cette Eglise est redevenue membre du COE en 2016, avec l’accord entier de toutes les autres Eglises membres d’Afrique du Sud. Auparavant elle avait déjà réintégré la Communion réformée mondiale. Comme quoi le dialogue peut porter ses fruits, même s’il faut parfois patienter plusieurs décennies.