«Pour une unité du camp de la paix»
Avec le conflit en Ukraine, le camp de la guerre s’est installé partout et la confusion semble prévaloir dans celui de la paix. Se disant «alarmé», le ministre suisse Alain Berset même a surpris, semblant soudain mu par un certain retour à l’internationalisme socialiste, en déclarant en substance que «paraissant animés de frénésie guerrière, beaucoup semblent avoir perdu la boussole et n’avoir plus de ligne»!
Cela n’a pas plu, notamment à «gauche», où nombreux sont celles et ceux qui estiment qu’il faut soutenir le droit de l’Ukraine à se défendre de l’agression russe. Et s’associer aux sanctions économiques, voire même autoriser la réexportation d’armes de fabrication suisse vers l’Ukraine; se réarmer – et même se rapprocher de l’OTAN!
Si l’on sait de longue date que les socialistes de gouvernement se sont, dès 1914, ralliés à l’ordre impérialiste mondial et sont aujourd’hui atlantistes, on se serait moins attendu qu’au sein de la gauche «anticapitaliste», on s’associe à tout ou partie de ce programme. Lorsqu’on met le doigt dans l’engrenage de la prise de position en faveur d’un camp impérialiste contre l’autre, on est inévitablement conduit à s’y faire entraîner tout entier. Et, par conséquent, à contribuer à favoriser la propagande belliciste, attiser les haines nationalistes, alimenter la croissance du fascisme et, finalement, valider la poursuite de la guerre.
La gauche anticapitaliste, internationaliste et conséquente a en revanche toujours revendiqué une ligne pacifiste fondée sur quelques solides principes. A commencer par la distinction entre classes laborieuses et peuples d’un côté, et Etats capitalistes de l’autre. Cette ligne de principe a fait l’objet de la «Résolution relative au militarisme et aux conflits internationaux» de l’Internationale socialiste lors de son Congrès de Stuttgart de 1907.
Il y est alors précisé que «l’action contre le militarisme ne peut pas être séparée de l’ensemble de l’action contre le capitalisme» et que «les guerres sont favorisées par les préjugés nationalistes que l’on cultive systématiquement dans l’intérêt des classes dominantes, afin de détourner les travailleurs et les peuples de leurs devoirs de solidarité internationale». Ardent pacifiste internationaliste, Jean Jaurès résumait le propos par cette formule parlante: «Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage!».
Quant au général von Clausewitz, grand stratège prussien et théoricien militaire, il expliquait que la guerre n’est jamais que «la continuation de la politique par d’autres moyens». Certes, la guerre impérialiste résulte inéluctablement de la concurrence effrénée entre les intérêts divergents des divers monopoles et Etats capitalistes.
Aujourd’hui, il faut se demander pourquoi – bien qu’ils ne cessent de prévenir du risque de «dérapage» de la guerre actuelle vers un conflit mondial, qui serait inévitablement nucléaire – les deux camps qui, à l’évidence, ne peuvent chacun ni gagner ni perdre, persistent néanmoins à se surarmer, à développer leurs technologies meurtrières et à sacrifier sans compromis de plus en plus de vies humaines, au lieu de chercher la voie de la paix – ce qui serait l’intérêt même de leurs peuples respectifs.
Or, de très hauts gradés étasuniens comme le général Mike Minihan le disent, les Etats-Unis envisagent une guerre inéluctable avec la Chine dès 2025. De son côté, le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, déclare que l’objectif des Etats-Unis en Ukraine est d’affaiblir durablement la Russie – entendez en tant que probable allié de la Chine en cas de conflit avec celle-ci. Tout démontre qu’en effet, les impérialismes se préparent de part et d’autre à un conflit majeur en raison des vives tensions qu’engendrent leurs intérêts économiques et politiques divergents en matière de partage des richesses, des zones d’influence et de la lutte pour l’hégémonie sur la planète.
Les peuples, eux, n’ont aucun intérêt à la guerre; ils ne sont pas ennemis entre eux. Ils ont au contraire tout intérêt à la paix, à la coopération et à la fraternité internationale.
Quand les fauves se disputent une proie, on ne va pas y fourrer ses mollets
Il ne s’agit donc pas, pour le mouvement pacifiste, de savoir quelle position adopter quant à l’agression de l’Ukraine par la Russie, car cela n’a rien à voir avec ni avec le peuple russe, ni avec le peuple ukrainien – pas plus qu’avec les peuples d’Europe ou des Etats-Unis, dont les dirigeant·es se sont mêlé·es à l’affaire. Il s’agit bel et bien d’un conflit entre Etats et monopoles capitalistes impérialistes aux intérêts économiques et politiques divergents. Or les peuples ont, eux, des intérêts convergents de coexistence et d’échanges économiques et sociaux sous la bannière «Travailleurs et peuples du monde, unissons-nous contre l’exploitation capitaliste, la misère, le fascisme et la guerre pour notre bien commun!»
Il s’agit donc de lever le nez du guidon pour regarder l’horizon du danger réel, de bien distinguer l’adversaire qui n’est autre que le capitalisme impérialiste fauteur de guerre, et non tel ou tel Etat capitaliste particulier qui serait la malheureuse victime d’un méchant autre Etat, ce qui est une vision de cour d’école et non une analyse politique. Quand les fauves se disputent une proie, on ne va pas y fourrer ses mollets!
C’est cette vision claire du véritable adversaire qui fait largement défaut, aujourd’hui, au sein du camp de la paix et qui le conduit par des chemins de traverse, irrémédiablement, dans les bras de l’un ou de l’autre camp impérialiste.
Une fois ce principe posé, la ligne générale pour l’essentiel s’impose: il s’agit de faire barrage par tous les moyens aux manœuvres et préparatifs guerriers de l’impérialisme, et notamment à sa propagande belliciste. Les conditions tactiques de mise en œuvre de cette ligne politique anti-impérialiste sont ouvertes à la discussion et à l’appréciation des situations particulières.
En tout état de cause, il convient d’être au clair aussi sur le fait que seul le développement d’un très large mouvement de masse internationaliste, à l’instar de celui qui a prévalu dans le monde à l’époque de la guerre du Vietnam, est susceptible de s’opposer de manière significative aux manœuvres guerrières et à exercer une pression qui en limite l’extension. La paix générale, elle, n’est évidemment possible qu’avec la chute de l’ordre guerrier capitaliste impérialiste. C’est une autre histoire.
Mais c’est pourquoi seul l’essor d’un large mouvement pacifiste mondialisé et durable est susceptible de tenir en échec le risque d’un conflit majeur. Et cela exige un gros travail au jour le jour de propagande et d’organisation de la part des militant·es de la paix. Car la machine de propagande et de mobilisation des consciences de l’impérialisme pour préparer la guerre n’a-t-elle pas a déjà montré sa redoutable efficacité, à travers même les doutes et les errements au sein du camp de la paix?
Forger un large front populaire uni contre les risques de guerre engendrés par le capitalisme
Il s’agit donc ni plus ni moins aujourd’hui, et plus que jamais, que de forger un large front uni des travailleurs et travailleuses, et des peuples, contre les risques de guerre engendrés par le capitalisme. Il convient tout d’abord de travailler à persuader largement les organismes et organisations du mouvement social et populaire et les organisations de gauche, dans la perspective de cette «unité des peuples qui les rend invincibles»1>En référence au beau slogan de l’Unité populaire chilienne «El pueblo, unido, jamas sera vencido»..
Il convient aussi de battre en brèche les tendances et opinions selon lesquelles ce serait, selon l’adage, en préparant la guerre qu’on construirait la paix – principe même du militarisme. Et de s’opposer ainsi fermement au courant militariste qui revendique l’augmentation des budgets militaires et promeut la course aux armements.
Il faut évidemment dénoncer clairement les appels à l’accroissement de l’armement et au jusqu’au-boutisme belliqueux de tous les camps, et promouvoir la notion d’arrêt immédiat des combats en l’état et la négociation de traités de paix de compromis – sur le modèle de la paix de Westphalie, en 1648, à la négociation de laquelle s’était vue contrainte à l’époque une Europe exsangue et dépeuplée par l’effroyable guerre de Trente ans.
Il ne peut y avoir de gagnant dans une guerre impérialiste sinon par des destructions phénoménales et des massacres épouvantables, comme l’ont démontré les deux derniers conflits mondiaux – sans dire qu’un troisième aurait une terrifiante dimension nucléaire!
Une politique contre la guerre capitaliste, c’est-à-dire entre Etats, implique nécessairement de lutter aussi contre le danger du nationalisme et du chauvinisme qui font le lit du fascisme dont on a bien vu, lors de la dernière Guerre mondiale, la part prépondérante qu’ils prenaient dans l’agressivité de l’impérialisme.
Et pour ce qui est de la Suisse, la seule ligne «qui ne perde pas la boussole» est celle de la préservation de sa position de rigoureuse neutralité et de dénonciation de toutes les initiatives guerrières. Nous devons nous opposer à la fâcheuse tendance à vouloir participer aux sanctions et nous aligner, notamment sur l’OTAN, ainsi qu’aux courants militaristes qui prônent la course aux armements ou la réexportation de nos ventes d’armes.
Si ce sont-là quelques lignes tactiques dont la discussion doit pouvoir conduire à un assez large consensus, il reste la question de fond, celle de la définition claire d’une ligne de principe internationaliste sur la base de l’unité des travailleurs et des peuples du monde contre la guerre impérialiste.
A partir de quoi, d’autres éléments de tactique pourraient être définis, tels que la promotion de l’insoumission et la défection face à la mobilisation pour la guerre avec la construction d’une politique et d’un réseau d’accueil des réfractaires de tous les camps, comme ce fut le cas lors des guerres coloniales d’Algérie ou du Vietnam.
Notes
Christian Mounir est un militant genevois sympathisant d’ICOR (Coordination internationale des partis et organisations révolutionnaires) Solidarité internationale.