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La santé, reflet de la diversité

L’antienne libérale selon laquelle la santé est du ressort de chaque individu n’est d’aucune utilité pour l’appréhender sous un angle social, du fait que le milieu joue un rôle déterminant sur la santé globale d’une population. Une étude de l’Académie suisse des sciences naturelles publiée en 2019 démontre le lien entre la biodiversité et la santé. Eclairage.
Suisse

La relation entre l’état de l’environnement naturel et celui des êtres humains est connue depuis belle lurette. Héraclite, un des principaux philosophes présocratiques, disait: «La santé de l’homme est le reflet de celle de la Terre». En ce sens, l’érosion du vivant par les processus industriels ne fait qu’aggraver la situation sanitaire mondiale. De fait, si on envisage la nature comme le corps étendu de l’être humain, la pollution du premier se reflète dans les nouvelles maladies du second. Les instances politiques et scientifiques prétendent davantage parvenir, par de nouveaux moyens techniques, à diagnostiquer nos différentes maladies. Quel soulagement… Mais ne serait-il pas plus important de s’attaquer au problème à la racine? Mieux vaut prévenir que guérir.

Pour se référer à l’état de santé de la population suisse, qui de moins soupçonnable d’intégrisme vert que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP)? L’instance recense les cinq maladies non transmissibles (appelées affections non contagieuses) les plus répandues: le cancer, les maladies cardiovasculaires, les affections chroniques des voies respiratoires, le diabète et les maladies musculosquelettiques. Ces maladies ne sont en rien anodines vu qu’elles représentent les premières causes de décès sur notre territoire. En 2021, les trois principales causes de décès ont été les maladies cardiovasculaires (27,6%), puis le cancer (23,7%) et finalement, seule maladie infectieuse sur le podium, le Covid-19 (8,4%)1>Office fédéral de la statistique, «5957 décès dus au Covid-19 en 2021 en Suisse», 2023..

Or, ces maladies sont justement aussi référées comme étant des maladies de civilisation, c’est-à-dire qu’elles sont le résultat de notre mode de vie industrialisé. Bien évidemment, elles ne sont pas l’apanage de la Suisse. Elles touchent l’entièreté du globe, ce qui fait constater à l’Organisation mondiale de la Santé qu’en 2022, 74% des décès dans le monde résultent de maladies non transmissibles2>Organisation mondiale de la Santé, «Maladies non transmissibles», 16 septembre 2022.. Mais qu’en est-il des maladies infectieuses qui, elles aussi, sont liées à nos modes de vie industrialisée?

De fait, la tendance capitaliste à étendre la déforestation dans des réservoirs de pathogènes, comme les forêts tropicales, ouvre la porte à la propagation de nouveaux virus3>Andreas Malm, La chauve-souris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique, La Fabrique éd., 2020.. Un cas emblématique et contemporain est la maladie infectieuse du Covid-19. Cette perte en biodiversité accentue le risque de maladies zoonotiques, maladies infectieuses qui se transmettent de l’animal aux êtres humains. En effet, la pandémie du Covid-19 est la 6e pandémie mondiale depuis la pandémie grippale de 1918. Mais ce n’est probablement pas la dernière, car entre 631’000 et 827’000 virus, actuellement présents dans les mammifères et les oiseaux, pourraient infecter les êtres humains4>La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, «Echapper à l’‘ère des pandémies’», 2020.. Bienvenue à «l’ère des pandémies».

Le processus d’industrialisation, avec ses différentes pollutions de l’air, des eaux et des sols, met à mal la santé humaine. La perte du vivant est une dégradation environnementale parmi les autres pollutions. Les procédés industriels nécessitent un accaparement grandissant de matières premières, sans se préoccuper du fait qu’il tend à uniformiser notre milieu, c’est-à-dire à avoir des lieux sans vie et donc similaires. En fait, ils font table rase des vivants dans leur diversité par leur destruction directe ou indirecte (destruction des habitats) lors des phases d’extraction, de production puis de consommation. Or, la santé humaine dépend grandement de l’état du milieu dans lequel les personnes vivent.

D’ailleurs, l’Académie suisse des sciences naturelles écrit que des environnements riches en microbes tels que les fermes sont bénéfiques contre les maladies inflammatoires et auto-immunes5>Académie suisse des sciences naturelles, «La biodiversité, gage de santé?», Swiss Academies Factsheet 14 (3), 2019.. Le mode de vie imposé par le besoin grandissant de profits des industriels avec la complicité des Etats – résumé par le fameux métro, boulot, dodo – fait que les individus ne sont plus exposés à des milieux riches en vivants, avec tous les apports qui en découlent. La part grandissante du travail mort (les machines) remplaçant le travail vivant (qu’il soit humain ou non-humain) induit inexorablement une perte du vivant.

En somme, l’homogénéisation de nos milieux par la production industrielle mène à plusieurs processus: 1) une santé plus fragile, 2) une augmentation de la pression sur les écosystèmes encore protégés qui multiplie l’apparition et la propagation à l’humain de nouvelles maladies et 3) la disparition d’espèces (végétales et animales) qui appauvrit les différentes pharmacopées avec la disparition de sociétés traditionnelles qui entretiennent ces traitements. Finalement, refuser les milieux délétères façonnés par l’industrie est donc une condition sine qua non pour bénéficier d’une santé pleine et entière.

Notes[+]

Article paru dans Moins!, journal romand d’écologie politique, no 64, mai-juin 2023.

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