Égalité

Pauvreté, nom féminin

La pauvreté a un genre et il est féminin. C’est ce que rappelle Caritas dans son Almanach social annuel consacré à la question. Plus d’égalité engendrerait moins de pauvreté.
Pauvreté, nom féminin
Distribution alimentaire à Genève, mai 2020. Avec la pandémie, la précarité des auxiliaires de vie notamment a explosé, et «les aides Covid de la Confédération ne touchent pas les personnes précaires», s’irrite Yvonne Peisl-Gaillet du syndicat Unia. KEYSTONE/Martial Trezzini
Suisse

Le visage de la pauvreté est plus souvent féminin et la pandémie actuelle l’a mis en lumière. Le lien entre précarité et inégalités de genre structurelles reste pourtant relativement ignoré, constate Caritas qui s’appuie sur une longue expertise sociale et caritative. Dans son Almanach social de 2022, l’organisme investigue les diverses facettes de ce fléau. Qui, malgré son nom, n’a rien d’une fatalité. Survol.

Pour les femmes, rappelle Morgane Kuehni, professeure à la Haute école en travail social à Lausanne, le risque de pauvreté est double: leur situation familiale ne leur permet pas toujours de travailler à plein temps et elles travaillent souvent dans des branches à bas salaires. Plus généralement, la déréglementation du marché du travail et sa flexibilisation produisent depuis les années 1970 une augmentation du sous-emploi (trois fois plus élevé chez les femmes), ou temps partiel involontaire.

Mais l’une des raisons majeures pour lesquelles les femmes sont plus touchées par la pauvreté que les hommes est culturelle: les mères sont toujours considérées comme exclusivement responsables du foyer et des enfants, rappelle Nicole Baur,  conseillère communale et déléguée à l’égalité du canton de Neuchâtel. Et cette vision n’évolue pas vite: en 2015, 29% des garçons et 15% des filles, né·es en 1997, estimaient que lors de la naissance d’un enfant, la meilleure organisation familiale était «le père à plein temps et la mère au foyer». Le modèle «les deux à temps partiel» suscitait l’intérêt de 29% des garçons mais de 41% des filles.

De la même façon, le financement des soins aux personnes âgées est présumé une affaire privée en Suisse. Il repose sur les proches aidants – qui sont surtout des aidantes. Alors que dans les pays de l’OCDE, une moyenne de 85% des soins de longue durée est financée par des fonds public, cette part est inférieure à 40% en Suisse, relève la chercheuse Sarah Schilliger, sociologue et enseignante aux universités de Berne et ­Zurich.

La Suisse exporte sa crise

Cette situation alimente la précarité de nombreuses femmes. «Si les hommes se sentaient responsable de la maison et du foyer, écrit le journaliste Martin Arnold, ils auraient déjà comblé le vide domestique qui s’est créé au fur et à mesure que les carrières, ou tout simplement l’emploi féminin se développait. Mais ils ne le font pas et ce sont d’autres femmes qui interviennent.» Venues de Roumanie, du Pérou ou d’Equateur, manquant à leurs propres enfants resté·es au pays, elles doivent être parfois disponibles 24h sur 24h, sont «désespérément sous-payées» et parfois victimes de maltraitance.

Depuis 2011, une convention collective nationale prévoit un salaire minimum pour les aides soignantes et les femmes de ménage. Le reste est laissé à la discrétion des cantons, qui ne sont pas obligés d’appliquer les règlements concernant les heures de travail, pauses ou vacances. En 2021, la moitié des cantons n’avaient pas repris les dispositions fédérales concrètes de 2018, applicables aux personnes qui soignent les seniors. Ce sont essentiellement des femmes, et de plus en plus nombreuses. En 2013, elles étaient 900 à travailler comme nounous en Suisse contre 6000 en 2019.

En Suisse alémanique, une soixantaine d’agences de placement proposent une assistance 24h sur 24h (rémunérée pour certaines 5,4 heures par jour, plus trois heures de garde payées cinq francs). Mais les engagements se font aussi informellement et les statistiques suisses sur la migration et le travail n’enregistrent pas cette aide à domicile 24h sur 24h comme un groupe distinct. La crise des soins à la personne, que la Suisse exporte par ce biais, reste donc un phénomène mal documenté, ce qui l’aide à passer sous les radars.

Logique de l’exploitation capitaliste

Mais pourquoi les emplois dont nous dépendons le plus sont-ils si mal payés? Parce que l’argent va en priorité là où les rendements sont élevés, note le professeur d’économie à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse Mathias Binswanger, dans une pure logique capitaliste de l’exploitation, et que l’on réalise des économies là où il n’y a pas de profits, même si c’est là que les vies humaines sont en jeu.

L’Almanach de Caritas esquisse quelques solutions, telles la lutte contre les bas salaires, la redistribution du travail dans son ensemble, la réforme du 2e pilier – auquel 30% des femmes n’ont pas même accès – mais aussi le renforcement de l’accès à la formation, l’augmentation substantielle des structures de garde d’enfants – puisque la difficulté de concilier travail et famille représente la raison principale du faible taux d’emploi des femmes – et l’adoption de barèmes tarifaires favorables aux bas revenus (seuls 25% de ces ménages envoient leurs enfants en crèche).

Almanach social 2022, (In)égalité : la pauvreté féminine, éditions Caritas, Lucerne, 2022

 

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