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Trump, martyr et superhéros

Inculpations, scandales… Comment expliquer la popularité de Donald Trump auprès des électeurs républicains? Au-delà des divisions au sein du grand vieux parti, le succès de Trump vient «de sa capacité à utiliser une stratégie de l’émotion basée sur la peur, le sentiment de rancune et d’humiliation», selon J. Viala-Gaudefroy, spécialiste des Etats-Unis.
Trump, martyr et superhéros
Manifestation pro-Trump à Miami, pendant sa comparution dans le cadre de l’affaire des documents classifiés de la Maison-Blanche, le 13 juin 2023. KEYSTONE
États-Unis

Après une première inculpation, en mars dernier, par le procureur de Manhattan dans l’affaire Stormy Daniels [achat du silence d’une actrice pornographique], Donald Trump vient d’être à nouveau inculpé, cette fois au niveau fédéral, pour des motifs beaucoup plus graves: il est accusé d’avoir violé la loi sur l’espionnage et mis en danger la sécurité des Etats-Unis en conservant illégalement, après son départ de la Maison Blanche, des documents classés secret défense. Un coup dur pour sa candidature à la présidentielle 2024? Pas nécessairement.

Sans surprise, face à cette inculpation fédérale, Trump clame son innocence, accusant l’administration Biden d’«ingérence électorale au plus haut niveau» et d’«instrumentalisation du Département de la Justice et du FBI». Cette défense, reprise par Fox News, est aussi celle adoptée par des ténors du Parti républicain, y compris Kevin McCarthy, le président de la Chambre des représentants. Même les adversaires de Trump aux primaires, à commencer par son principal rival, Ron DeSantis, se trouvent forcés d’adhérer à ce récit: une inculpation qui serait une attaque politique de Joe Biden contre l’un des principaux candidats à l’investiture présidentielle du Parti républicain.

Si les Républicains les plus en vue défendent l’ancien président ou restent silencieux, c’est que Donald Trump reste très populaire chez leurs électeurs. Il est en tête des sondages aux primaires avec plus de 50% des intentions de vote. Surtout, il distance son adversaire principal DeSantis par 30 points, un écart qui continue de se creuser, y compris dans l’Etat de Floride où DeSantis a pourtant été réélu gouverneur à une très large majorité en 2022.

Cette nouvelle inculpation, comme les affaires et scandales précédents, a peu de chances d’entamer le soutien des électeurs républicains à l’ancien président. Elle pourrait même le renforcer, d’autant que, s’il est reconnu coupable, Trump resterait de toute façon éligible. En effet, selon la Constitution et le 14e amendement, seule une condamnation pour insurrection ou rébellion pourrait le disqualifier. Théoriquement, il pourrait donc faire campagne depuis une prison, comme l’a déjà fait un autre candidat, Eugene Debbs, en 1920. Et s’il venait à être élu, il tenterait sans doute de se gracier lui-même de ses crimes fédéraux.

Comment Donald Trump, qui a encouragé une insurrection, subi deux procédures de destitution, été mis en examen et reconnu coupable d’agression sexuelle, qui fait toujours l’objet de nombreuses enquêtes judiciaires – y compris pour interférence dans des élections, et qui continue de nier le résultat de la présidentielle de 2020 – peut-il encore dominer le camp républicain?

Sur le papier, il semble pourtant y avoir un espace pour une alternative à Trump au sein du parti. Malgré les apparences, les pro-Trump qui soutiennent l’ancien président de manière indéfectible sont minoritaires au sein des sympathisants républicains. Selon des calculs effectués en 2022, ils représenteraient environ le tiers des Républicains (30 à 37%), soit à peu près 15% des électeurs américains, un chiffre confirmé par un sondage récent de NBC.

Des républicains divisés

Le problème réside dans le fait que, hormis cette base pro-Trump très radicalisée, homogène et unie autour de l’ancien président, les électeurs républicains sont divisés. Ceux qui seraient éventuellement prêts à opter pour un autre candidat que lui le sont pour des raisons variées et à des degrés divers. Et presque un tiers d’entre eux (soit 20% des électeurs républicains) semblent ne pas avoir trouvé de candidat alternatif et se disent donc prêts à se rallier à Trump.

Le défi de n’importe quel concurrent de l’ancien président consiste non seulement à rassembler un pourcentage suffisamment important d’électeurs républicains sous une même bannière, mais aussi à se placer à la fois comme héritier et rival de Donald Trump. Or ce dernier n’hésite pas à attaquer violemment tout adversaire pouvant constituer une menace sérieuse, comme il le fait avec DeSantis.

En dehors de l’ancien gouverneur du New Jersey Chris Christie et de l’ex-vice-président Mike Pence, déjà perçus comme déloyaux avant même leur entrée en campagne, les candidats aux primaires évitent pourtant de s’en prendre frontalement à Trump, préférant réserver leurs coups à DeSantis. Attaquer Trump, c’est aussi laisser entendre que ses électeurs se sont trompés ou qu’ils ont été trompés.

En outre, l’ex-président bénéficie de la multiplication de candidatures aux primaires et de l’éparpillement des voix qu’elle engendre. Ils sont déjà une petite dizaine à s’être officiellement déclarés, mais aucun ne semble encore émerger. En effet, le scrutin majoritaire à un tour appliqué pour les primaires et le fait que, dans la plupart des Etats, le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix remporte l’ensemble des délégués profitent à l’ex-locataire de la Maison Blanche. Fort de son socle électoral solide, ce dernier devrait d’autant plus facilement devancer ses poursuivants que ceux-ci seront nombreux et se déchireront entre eux.

Enfin, il ne faut pas oublier que seule une toute petite minorité d’électeurs votent aux primaires. Il y avait moins de 15% de participation chez les Républicains en 2016, le taux le plus élevé en plus de trente ans. Il est communément admis que c’est la frange la plus radicalisée qui vote pour ce scrutin, bien que les études à ce sujet soient peu concluantes.

La stratégie adoptée par Ron DeSantis est de faire une campagne à la droite de Trump sur des thèmes de guerre culturelle: il se positionne comme étant radicalement anti-woke, anti-avortement, anti-transgenre et LGBT, mais aussi pro-armes. Reste que, ce faisant, DeSantis cherche à séduire un segment de l’électorat assez similaire à celui de Trump.

Décrit par le Financial Times comme un «Donald Trump avec un cerveau et sans le mélodrame», il n’a pas le charisme de ce dernier. Son style de gouvernance en Floride, basé sur l’autoritarisme et une instrumentalisation politique des institutions, y compris les établissements d’enseignement, rappelle davantage celui de Viktor Orban [le Premier ministre hongrois] que celui de l’ancien président américain. De plus, après avoir chanté les louanges de Donald Trump, il doit maintenant l’attaquer sans sembler se contredire ou, pis, passer pour un traître auprès de la base.

Ressentiment racial et crise identitaire

Dès que l’ancien président est mis en difficulté, par exemple au moment de sa première mise en examen, une vaste majorité (70%) de sympathisants républicains s’est ralliée à lui et a semblé adhérer à l’idée que toute inculpation est motivée par des considérations politiques. De même, et de façon plus inquiétante, une majorité continue de croire que l’élection de 2020 leur a été volée, y compris une partie de ceux qui reconnaissent, aujourd’hui, l’absence de preuve.

Cette permanence du soupçon illustre non seulement que la perception compte davantage que la réalité, mais aussi qu’il existe une forme de paranoïa symptomatique d’une crise identitaire dont les racines se situent dans l’anxiété économique et le ressentiment racial. La recherche a largement documenté que les électeurs de Donald Trump étaient essentiellement blancs, non diplômés, évangéliques et de classe moyenne. Ces études concluent également que ce sont d’abord les questions d’identité – surtout liées à la race, à l’immigration, à la religion et au genre –, davantage que l’économie, qui ont été les forces motrices de l’élection de Trump en 2016.

Pour une partie de cet électorat américain blanc, il existe en effet ce que la sociologue Arlie Hochschild appelle «une histoire profonde»: celle de Blancs de la classe moyenne qui seraient mis à l’écart par des groupes minoritaires, abandonnés par le gouvernement, victimisés et traités avec mépris par une élite de gauche. Le ressentiment de ces Blancs non diplômés qui se jugent délaissés vient en partie de leur affaiblissement démographique: leur part dans l’électorat est passée de 69% en 1980 à 39% en 2020, et devrait tomber à 30% d’ici à 2032.

Le succès de Donald Trump vient de son charisme et de sa capacité à utiliser une stratégie de l’émotion basée sur la peur, le sentiment de rancune et d’humiliation. Ceci en s’appuyant sur sa propre rancœur envers les élites new-yorkaises, puis envers Barack Obama à travers ses allégations de birtherism [théorie selon laquelle Barack Obama n’est pas né aux Etats-Unis, donc inéligible à la présidence], l’élection d’un président noir ayant contribué à polariser encore plus la politique américaine autour de la question raciale.

Ce qui est remarquable, et peut-être contre-intuitif, c’est que ce récit de ressentiment racial est parfois même adopté par des minorités qui éprouvent de l’antipathie à l’égard d’autres groupes minoritaires. Une étude récente montre, par exemple, la croissance du nombre de Latinos, comme d’autres personnes de couleur, dans le mouvement suprémaciste blanc.

Enfin, Trump a pu s’appuyer sur la peur des chrétiens blancs évangéliques, comme l’a montré Kristin Kobes Du Mez, en leur offrant un récit du «carnage américain» qui résonne avec leurs croyances eschatologiques de déclin et de destruction à la fin des temps.

Donald Trump a construit autour de sa personne un récit où il est une victime, voire un martyr, auquel s’identifie cet électorat et, en même temps, un superhéros hypemasculinisé dans lequel ses partisans peuvent se projeter, y compris quand la victime annonce qu’elle se fera bourreau des responsables de leurs malheurs. A la veille des élections de 2016 il se disait ainsi être la voix des «oubliés»; avant celles de 2024, il se présente comme leur «guerrier» et leur justicier, promettant d’être la «rétribution» et le «châtiment» pour «ceux qui ont été lésés et trahis».

Cette vengeance pourrait même s’abattre sur les Républicains qui le trahiraient. N’oublions pas que le leadership à la Chambre de Kevin McCarthy dépend d’une majorité si faible qu’il est à la merci de la frange la plus pro-Trump des élus de son parti. De la même façon, le Grand Old Party est pris en otage par ce mouvement minoritaire mais puissant, dont la seule constance est la loyauté envers son chef, Donald Trump, quitte à affaiblir le parti et faire perdre des élections.

Dans un tel contexte, on peut légitimement se poser la question de ce qui se passerait si Trump devait perdre les primaires républicaines. Il n’est pas impossible qu’il rejette alors les résultats, et affirme qu’elles ont été truquées. S’il se présentait, alors, en tant qu’indépendant, presque 30% des électeurs républicains seraient prêts à le suivre, même si des études montrent qu’il n’aurait presque aucune chance de l’emporter. Il ferait en tout état de cause exploser le Parti républicain, une possibilité qui ne fait que renforcer sa domination sur un parti déjà très affaibli, incapable de se redéfinir sur une ligne idéologique et intellectuelle claire.

Jérôme Viala-Gaudefroy est docteur en études américaines, maître de conférences à CY Cergy Paris Université. Article paru (version annotée) sous le titre «Inculpations, scandales… Comment expliquer la popularité de Donald Trump auprès des électeurs républicains?» dans The Conversation, theconversation.com/fr

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