La santé publique, une priorité politique?
En passant trois mois au Niger, je me suis souvent fait la réflexion du manque d’implication du gouvernement pour améliorer la santé de la population: budget de la santé rachitique, programme de prévention (même en ce qui concerne les vaccins, pourtant largement soutenus par la communauté internationale) atteignant rarement les personnes qui en auraient le plus besoin; insécurité alimentaire récurrente sans solution sur le moyen et le long terme.
La préoccupation est ailleurs, dictée depuis l’extérieur: lutte contre le djihadisme, criminalisation des passeurs aidant les populations migrantes à traverser le pays, ou renouvellement d’un contrat avec le groupe français Orano pour continuer l’exploitation de l’uranium, sans que l’on sache ce que cela peut rapporter à l’Etat nigérien (et un non-sens en terme de santé publique, ici et là-bas – où le partenaire français cherche à minimiser la situation dans les zones minières actuellement désaffectées et pas décontaminées). Les autorités nigériennes ont au moins l’excuse de devoir gérer un des pays parmi les plus pauvres, sans beaucoup de ressources propres, avec un taux d’alphabétisation d’à peine 30% et donc à la merci des multinationales et des institutions financières telles que le FMI ou la Banque mondiale.
Mais de retour en Suisse, je dois me rendre à l’évidence que nos «politiques» (celles et ceux qui font les majorités, bien sûr!) n’attachent pas plus d’intérêt à la santé publique: ils et elles sont bien là pour dénoncer les coûts des soins et pour stigmatiser «tous ceux» qui ont trop recours aux services des urgences hospitalières. Mais, quand ils et elles auraient l’occasion de prendre une décision politique permettant d’affronter un problème reconnu et largement étudié, à savoir l’effet néfaste de la surconsommation de sucre, en limitant entre autres la quantité de sucre dans les boissons industrielles, ils et elles y «renoncent» au nom de la liberté individuelle et du commerce. Pire, ils et elles ont écarté le principe d’un étiquetage simple permettant à chacun·e de savoir précisément quel est le contenu en sucre des aliments qu’il ou elle consomme. Cela à l’heure où, pour toutes sortes de raisons, les plats pré-cuisinés – souvent trop riches en sucre (et en sel) cachés – sont très en vogue.
Certain·es parlementaires ont osé s’en remettre au sens des responsabilités des multinationales de l’alimentation qui, sur une base volontaire, ont décidé de diminuer le sucre dans nos pays, pour certains produits de leur assortiment; celles-là même qui s’insurgent contre la politique courageuse du gouvernement mexicain qui a imposé une diminution de la teneur en sucre dans les boissons et un étiquetage clair. Il faut dire que le Mexique a encore un taux d’obésité et de diabète de type 2 plus élevé que la Suisse!
Et l’on sait la mollesse de la majorité parlementaire helvétique à lutter contre le tabagisme (notamment, à l’heure actuelle, contre la publicité de la cigarette électronique ciblée sur les jeunes), malgré son effet délétère reconnu sur la santé. Par ailleurs, la prévention ne peut se contenter de viser l’individu, mais doit prôner des mesures plus globales et sociétales. En agissant différemment – ce qui semble l’option politique choisie au parlement à Berne –, il faut toutefois en assumer les conséquences, et ne pas se lamenter ensuite des coûts engendrés sur la santé par ce «laisser aller»!
Un peu dépité, l’autre jour, je suis parti me promener dans les vignes magnifiques qui bordent la ville d’Aigle. A ma grande stupéfaction, en face d’une sculpture montrant un vieux vigneron transmettant son savoir à un enfant, j’ai trouvé un bidon de glyphosate, posé là, sur un mur, qui contenait encore au moins trois litres de cet herbicide chimique à la réputation pour le moins inquiétante, puisqu’il a été considéré par l’OMS comme «probablement cancérigène». Il n’est toujours pas interdit en Suisse, avec l’excuse qu’on ne l’utilise chez nous que comme désherbant, et que son application est interdite pendant les six semaines qui précèdent la cueillette des fruits. Une nouvelle décision devra être prise d’ici à la fin de l’année.
Le glyphosate est interdit en Allemagne, quant à l’Europe, elle hésite. Les lobbies de l’agrobusiness ne sont jamais loin. C’est un bras de fer où agriculteurs et viticulteurs sont souvent pris en étau; ayant été poussés dans la logique productiviste, ils expliquent devoir choisir entre l’équilibre financier à moyen terme de leur entreprise et la préservation de la biodiversité – dont dépend pourtant aussi leur travail. Choix cornélien… et pourtant!
Jusqu’à quand devrons-nous attendre pour comprendre que notre santé dépend beaucoup de notre comportement, mais encore plus des choix sociétaux qui se décident dans les parlements…? Pouvons-nous rêver d’autorités publiques plus soucieuses du bien commun, dont fait partie la santé publique, que de l’allégeance au monde économique et financier? Saurons-nous nous en souvenir cet automne au moment de renouveler le parlement fédéral? – Ou peut-être n’est-ce pas non plus une priorité des votant·es?
* Pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.